La grande dépression

Une dépression réjouissante et indispensable !
De
Raphaël Gautier
Mise en scène
Aymeline Alix
Avec
Chadia Amajod, James Bornichen, Christian Cloarec, Nathan Gabily, Agnès Proust, Stanislas Roquette
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Théâtre de la Tempête - Cartoucherie
Route du champ de manœuvre
75012
Paris
01 43 28 36 36
Jusqu’au 6 avril 2025. Mardi à samedi : 20h30. Dimanche 16h30

Thème

  • Un jeune homme, dépressif et suicidaire, consulte une psychiatre et lui demande : « Que puis-je faire pour vous ? ». Le ton est donné d’une course “folle“ (dans toute la richesse de ce mot) qui fait se succéder nombre de personnages fictionnels ou réels dans de brefs tableaux galopant le long d’une chronologie qui va de 1929 à 2023 ! On trouve, côté réel, Disney et son staff, des employés du parc Disneyland Paris, Hitler, Goebbels, Werner von Braun (concepteur des missiles V2 construits dans le camp de Dora-Mittelbau et envoyés contre les villes belges et anglaises) et Leni Riefensthal... Et côté fiction, il y a la peluche Simba du Roi Lion, Mickey Mouse, plus quelques planètes errantes...

  • Chemin faisant, nous découvrons la genèse de l’invention de Mickey, les rêves de son créateur qui admirait Leni Riefensthal et collabora avec Werner von Braun (exfiltré aux USA après la guerre) pour la conception de Tomorrow Land, un des espaces de Disneyland consacré aux conquêtes du futur. 

  • Ce sont donc les coulisses commerciales, mais surtout éthiques et politiques du monde de Disney, que la pièce explore, sous le regard attentif du dépressif que ce voyage ne contribue pas à soigner, on s’en doute. 

Points forts

  • Le texte ciselé et pourtant drôle, cursif, intelligent, et nourri par des lectures philosophiques et la science la plus récente, invite le spectateur à travailler autant qu’à rire et lui offre un tremplin réflexif pour se saisir de l’actualité et de l’histoire.

  • La mise en scène adaptée, enlevée, efficace et sans chichi, sert le talent des interprètes qui incarnent à eux six et avec brio, 43 personnages différents ! Elle réussit à faire coexister introspection, dialogues, récits de cauchemar et scènes de l’histoire, sans que jamais le sens n’en soit perdu pour le spectateur. 

Quelques réserves

  • La fin est peut-être un peu confuse, même si “l’indécidé“ du dénouement (rêve, réalité ?), transformé en appel à un peuple qui n’existe pas - de Donald Duck l’inadapté aux improductifs et improductives en passant par les grévistes ancien.e.s et plus récent.e.s des Walt Disney Studios et du parc Disneyland Paris - est à la fois parfaitement salubre et réjouissant.

Encore un mot...

  • Bien sûr, l’Histoire façonne nos inconscients, nourrit nos angoisses et organise nos névroses. Selon la formule de Deleuze reprise telle quelle par Raphaël Gautier, « Le délire, il est historico-mondial ». L’historiographie récente a bien montré que le nazisme fut aussi et peut-être d’abord une révolution culturelle, que « les idées du nazisme (…) étaient déjà là, dans la société allemande comme, plus largement, dans les sociétés occidentales » (Johann Chapoutot).

  • Le nazisme a poussé à son extrémité la plus brutale la logique d’un monde du spectacle et de la marchandise, qui rêve de pureté et fourbit les armes de la manipulation des masses.  On pense à Marx, à La Crise de la culture d’Hannah Arendt, à La société du spectacle de Debord, et à nombre d’autres analyses ayant mis au jour les mécanismes contemporains et terrifiants de la mise au pas et de l’asservissement des sociétés : « Notre temps... préfère l'image à la chose, la copie à l'original, la représentation à la réalité, l'apparence à l'être... Ce qui est sacré pour lui, ce n'est que l'illusion, mais ce qui est profane, c'est la vérité. Mieux, le sacré grandit à ses yeux à mesure que décroît la vérité et que l'illusion croît, si bien que le comble de l'illusion est aussi pour lui le comble du sacré » écrivait par exemple Guy Debord en 1967. 

  • « Le ventre est encore fécond d'où a surgi la bête immonde », parce que l’organisation financière et marchande du monde n’a cessé de progresser, rompant l’alliance que l’on croyait réelle et solide entre l’esprit du capitalisme et la démocratie, entre la liberté d’entreprendre et la liberté de penser pour faire advenir le règne de la censure, des vérités alternatives et des chefs politiques sans foi ni loi aux allures de clowns affligeants.

  • Mais ce spectacle donne aussi de l’espoir, rappelant que le pouvoir de la fiction peut-être « utilisé pour changer la trajectoire mortifère que prennent nos sociétés plutôt que de la nourrir », ainsi que le rappelle la metteuse en scène Aymeline Alix.

Une phrase

  • Adolf Hitler : « Un Walt Disney allemand, c’est ce qu’il faut. L’Europe est un château de Bavière qui surgit dans le ciel. »

  • Walt Disney : « L’Amérique existe déjà. Et elle est souvent dégénérée l’Amérique. Il faudrait un pays neuf, vierge, à conquérir de nouveau. Un esprit de pionnier vois-tu, comme les premiers colons américains. Terra incognita. Régénérer notre culture. » 

  • « Formateur.rice aux étudiants de la Disneyland University : Disneyland est un théâtre. Vous n’êtes pas des vendeurs ou des vendeuses. Vous êtes des acteurs et des actrices. (…) un vrai sourire, ça n’est pas quelque chose de musculaire. Ca doit venir du ventre. Ca doit venir de l’intérieur. Si le sentiment de joie n’irradie pas de l’intérieur, le sourire sera inauthentique. Souriez ! »

L'auteur

  • Dramaturge, Raphaël Gautier a fait des études d’histoire avant d’intégrer l’ENS en Arts du spectacle – Dramaturgies. Formé aussi au département des écrivain.e.s dramaturges de l’ENSATT, il écrit la Grande Dépression en 2018, dont il reprend le texte 2022 lors d’une “mise en espace“. 

  • Le texte est salué par le Coup de cœur du Bureau des lectures de la Comédie-Française, avant d’être publié en 2023 chez :esse que éditions. Il écrit Da Capo, mis en scène 2020 par Olivier Maurin et sélectionnée par le Prix Célest’1, puis Les Oublieux·ses qu’il met lui-même en scène en 2023, ainsi que La Détente mise en scène avec la Cie NYXs.

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