L’Abattage rituel de Gorge Mastromas

Pas à la hauteur des intentions
De
Dennis Kelly
Mise en scène
Chloé Dabert
Avec
Bénédicte Cerutti, Gwenaëlle David, Marie-Armelle Deguy, Olivier Dupuy, Sébastien Eveno, Julien Honoré, Arthur Verret
Notre recommandation
2/5

Infos & réservation

Théâtre du Rond-Point
2 bis, Avenue Franklin D. Roosevelt
75008
Paris
0144959821
Jusqu' au 14 mai, à 21h

Thème

Comment un homme simple, apparemment gentil, se fait influencer, alors que son entreprise est en perdition,  quand une « repreneuse » machiavélique l’incite, en le manipulant, à trahir son employeur. Il choisit et sacrifie à la fois son employeur et son âme, pour devenir un exploiteur et finir par gagner une grande fortune, puis à devenir un assassin, un homme sans scrupule ni conscience. Le programme annonce que « Ce pourrait être le procès d’un individu dont les actes sont condamnables, ou les derniers instants de la vie d’un monstre. Mais ce pourrait être aussi le destin d'un héros tragique, ou encore une sorte de Faust... 

Points forts

1 – Le décor, signé Pierre Nouvel, est intéressant et élégant, construit intelligemment pour permettre sobriété et multiplicité des espaces potentiels.

2- Le narrateur qui concède une forme de vie à ce spectacle, dont les protagonistes sont souvent comme des marionnettes mortes, je pense à Gorge, notamment au début, immobile derrière le rideau transparent, marque bien les deux temps de cette pièce ; le temps de la narration et le temps du vécu ; Gorge, dont on voit la vie passer, qu’elle soit narrée ou jouée, est très distancié.

3 – Les comédiennes m’ont semblé plus percutantes : Gwenaëlle David (A) est hystérique et paniquée avec élégance et Marie-Armelle Deguy (B), est dangereuse à souhait, en sorte de mauvais génie du pauvre Gorge. C’est sans doute là que le programme donné au public envisage une analogie avec « Faust », il ne s’agit pas de jeunesse, mais de  « bonté ou lâcheté ? », or Goethe est très loin. 

La plus touchante est Bénédicte Cerutti qui  parvient à intéresser le public par sa sensibilité, dans le rôle de Louisa, l’amoureuse de Gorge ; on comprend la montée de sa crainte, quand elle le retrouve, la figure en sang. Elle finira par partir, quand elle aura admis l'homme capable de tuer, qu'il était.

Quelques réserves

1 - La pièce ne tient pas la promesse de l’entretien entre Pierre Notte et Chloé Lambert, metteur en scène, cité dans le programme. Je m’attendais à une œuvre complexe, dont on se demande, en lisant la note d’intention si on parviendra, pour sortir du labyrinthe, «  à  suivre le bon fil ». Est-ce un problème d’adaptation ou de vision du metteur en scène ? Le monde cruel qu’on nous annonce est peu évident ; mais surtout, il n’évoque l’atrocité que d’une manière si aseptisée qu’on ne la perçoit qu’à peine.

2 - On nous parle d'un monstre ; or l’acteur qui joue Gorge, dégage plutôt humanité et gentillesse ;  ses aspects cruels et destructeurs sont si distanciés, qu’ils ne sont guère crédibles. Est-ce là la démarche de l’auteur, qui a voulu traiter cet univers comme un monde de fantômes, hors du temps, ou la volonté du metteur en scène ? Par ailleurs, le narrateur, seul à apporter un peu de vie réelle dans l’aventure, sourit souvent, avec une forme de complicité  avec le public. Est-ce là une intention pour démontrer qu’il s’agit d'une parabole critique sur un monde moderne et dévastateur ?

3 – A la fin, le « monstre », replié dans sa solitude, ne peut supporter l'arrivée d'un témoin capable de le démasquer. Il commet un nouveau meurtre, qui fera fuir sa femme, la seule personne qu'il aimait. Il se retrouve seul, face à lui-même. Ce devrait être un temps fort, mais lorsque l'ultime image du passé,  revient bien vivante, lui rappeler ses fautes, derrière ce tulle qui sépare ces deux mondes, cela ne déclenche aucune émotion.

Encore un mot...

J’ai été déçue. Je pense n’avoir pas été la seule. J’attendais beaucoup, étant arrivée à l’avance et ayant soigneusement lu le programme. Entre les intentions et l’action représentée, j’ai préféré les intentions intellectuelles au spectacle et c’est dommage. Il semble que Dennis Kelly soit un grand auteur. Ici,  ses personnages disent et font – soit disant – des horreurs, mais je ne me suis jamais sentie très concernée. Ma question à la sortie était : Pourquoi ?

Une phrase

«  La plupart du monde ignore tout ça, ils croient en Dieu ou papa ou Marx ou à la main invisible du marché, à l’honnêteté ou au bien. Ils nagent à travers la vie,  les yeux fermés, se faisant bouffer le menton, se faisant baiser à tour de bras. Elle est comme ça. Toi, tu es comme ça. Mais une petite, minuscule, poignée d’entre nous, une  fraction infime, appelons ça la résistance, soyons romantiques, une fraction minuscule de la population sait que c’est la vraie nature de la vie. Ils sont riches et puissants et possèdent tout parce qu’ils feront n’importe quoi pour ça. Le reste du monde est du bétail à leurs yeux, des animaux. » (extrait de la persuasion de (B) qui déclenche tout).

L'auteur

Dennis Kelly est né à Londres en 1970. Il commence sa carrière avec « Débris », en 2003. Plusieurs spectacles se montent dans différents théâtres londoniens: « Oussama, ce héros » – « Après la fin » – « Love and Money »…

En 2010, sa pièce « The Gods weep » est présentée à la Royal Shakespeare Company. Il écrit aussi le livret d’une comédie musicale «  Mathilda The Musical » qui connaît un grand succès. 

Ses pièces sont traduites et jouées dans le monde entier. Elu en 2009 meilleur auteur étranger en Allemagne, il écrit aussi pour la radio et la télévision. C’est la seconde fois que Chloé Dabert monte une de ses pièces.

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