La vie est un songe
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Nous sommes à la cour de BASILE, roi de POLOGNE au début du 17e siècle, cour imaginaire et sans apparat, mais non sans intrigues ni fureur; cour éclairée mais non dénuée de personnages baroques ni de soubresauts révolutionnaires. Basile, astrologue invétéré vit, à l'instar des empereurs romains soumis aux augures, dans la conviction que son fils, Sigismond, héritier naturel de la couronne se comportera en tyran violent et en souverain jouisseur abusif. Bientôt parvenu au terme de son règne, Basile envisage alors de remettre la couronne à ses neveu et nièce, le bel et borgne Astolphe et la naïve et boiteuse Etoile. Surréaliste !
Soudain , et c'est le pitch, Basile, calculs ou remords, donne une dernière "chance" à Sigismond et libère le fils mauvais qu'il avait fait encager. Feignant la mansuétude, il le proclame Roi d'un jour. S'il se révèle bon roi il sera définitivement l'héritier de la couronne... sinon il sera reconduit dans sa geôle et Astolphe et Etoile convoleront en justes noces avant de ceindre la couronne. Comble de machiavélisme : Sigismond, restant dans l'ignorance du piège, et sous l'empire de plantes narcotiques, ne comprend pas cette félicité subite. Il va mettre son éphémère destinée sur le compte d'un songe merveilleux. Mille péripéties s'enchaînent alors, de faits d'armes en soulèvements populaires, d'amours passionnées en paternités soudain révélées; on virevolte entre métaphores et métaphysique, entre songes et mensonges.
Que va-t-il advenir à nos deux héros, Sigismond le fils et Basile le père ?
Quelles seront les destinées de Clothalde, prince loyal jusqu'à l'aveuglement et percepteur zélé et de Rosaura, jeune fille humiliée dans son cœur et dans son honneur, avide de vengeance et égérie du peuple malgré son sang aristocratique ?
Le dévoiler ici de manière prosaïque serait faire injure à l'immense poésie dont fait preuve CALDERON dans cette fable politique, fleuron du 17e et bijou contemporain.
Points forts
1/ La force du verbe, l'élégance de la langue d'époque qui ne prend pas une ride. Adaptation en français remarquable.
2/ L'originalité de la mise en scène qui provoque l'envoûtement, capte l'attention, suscite l'émotion... depuis le prologue qui se déroule dans le silence de mort d'un théâtre d'ombre jusqu'au feu d'artifice final
3/ Le jeu des acteurs, éblouissant, notamment le rôle paroxystique de Sigismond submergé par un instinct meurtrier et proche de la bestialité ou celui de Rosaura qui saura amadouer ce monstre et le ramener, en le libérant de ses fers, à des sentiments plus dignes de la condition humaine
4/ L'actualité de la pensée philosophique, les aphorismes politiques qui résonnent comme des slogans de tribuns devant des foules imaginaires lassées du joug monarchique
Quelques réserves
Ils sont très secondaires et ne prêtent pas à une critique sur le fond
On pourra peut être regretter une certaine lenteur dans la première partie une fois dissipé le brouillard de la marche funèbre (la reine est morte!)
De même, lors du final, certains personnages (la jeune Rosaura, notamment, dans son envolée vengeresse er révolutionnaire) s'égarent trop longuement dans les gradins
Et puis, lors de l'ultime dénouement, les spectateurs (et au demeurant certains acteurs eux-mêmes qui en restent comme statufiés) peuvent être désemparés devant des décisions royales qui reforment les couples et répartissent les rôles des dignitaires du nouveau régime dans l'indifférence, l'incompréhension et un manque d'enthousiasme général.
Encore un mot...
Attention, pur chef d'œuvre, spectacle unique !
On est plongé dans les affres d'un "drama" de Sophocle ou dans la violence d'une tragédie racinienne. Mais c'est à William Shakespeare que l'on pense d'abord ("Nous sommes de l'étoffe dont sont faits nos rêves") alors que le thème de la pièce a déjà les accents de notre romantisme national: "Rien n'est vrai, rien n'est faux, tout est songe et mensonge"(Lamartine)
"Nul ne peut échapper à sa destinée écrite dans les astres", "A force de vouloir enfermer les hommes et les priver de leur liberté, on risque d'en faire des bêtes immondes". Ce sont là les deux grandes leçons philosophiques administrées brillamment par Calderon de la Barca. Réjouissons nous, l'homme est bon ... par nature. N'est ce pas, Jean Jacques?
Cerise sur ce festin royal, on sera frappé par la modernité de la mise en scène qui débouche sur l'atmosphère contemporaine d'une vendetta "autonomiste" ; mais peut être n'est-ce là qu'un rêve d'un chroniqueur.
Une phrase
Ou plutôt trois:
- BASILE: "S'il a la force d'âme de se vaincre, il règnera, mais s'il se révèle cruel et tyrannique, je le renverrai à ses chaines"
- SIGISMOND: " Tu vas mourir, car je ne veux pas qu'il existe personne qui soit instruite de ma faiblesse. Seulement parce que tu m'as entendu, je vais te presser entre mes bras robustes et te mettre en pièces"
- SIGISMOND: "L'expérience m'enseigne que l'homme qui vit rêve ce qu'il est. Le roi rêve qu'il est roi et vit dans cette illusion, ordonnant, disposant, gouvernant. Et ces louanges qu'il reçoit à titre précaire sont inscrites sur du vent et changées en cendres par la mort. La cruelle infortune !"
L'auteur
Pedro CALDERON DE LA BARCA (1600-1681) était sans doute le plus prolifique et le plus admiré des dramaturges du siècle d'Or Espagnol. Il a écrit quelques 1500 pièces (dont 200 œuvres dramatiques), comédies baroques, drames inspirés de la littérature spirituelle, mystères médiévaux, mises en scène des Evangiles et de la vie des Saints. Grande figure du théâtre baroque, contemporain de Shakespeare et de Lope de Vega et succédant à Cervantès (Don Quichotte est publié en 1605), il jouait dans la cour des grands, Philippe IV et Charles II.
Rompant avec ses sources d'inspiration habituelle, il alla chercher dans les contes arabo-persans des "Mille et une Nuits" le thème central de "La Vie est un Songe" qui , grâce a sa portée philosophique, reste la plus célèbre de ses œuvres
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