La Ronde
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Thème
On est à Vienne, en 1897. Arthur Schnitzler rédige une pièce dénonçant, non pas comme dans les chefs d'oeuvre classiques les tribulations de l'amour, mais jetant une lumière crue sur le désir et les plaisirs charnels à tous les niveaux de la société et à tous les âges de la vie. On y parle de sexe, pas de sentiment. De son propre aveu, il s'agit d'une "suite de scènes parfaitement impubliables et sans grande prétention littéraire mais... qui risquent d'éclairer d'un jour particulier certains aspects de notre civilisation".
Une suite de saynètes en effet puisque la pièce se compose de dix tableaux s'enchaînant les uns derrière les autres comme dans une ronde. A chaque fois, deux personnages, un homme et une femme, se livrent à un jeu en trois temps : séduction, consommation, séparation. Qu'il s'agisse d'une soubrette, d'un fils de famille, d'un militaire, d'une comédienne, d'une femme du monde, d'un auteur ou d'un mari... tous avouent que l'aventure a toujours un goût délicieux, même si elle se termine par la rupture.
Avec cette ronde de personnages, Schnitzler entend donc "éclairer" (le mot est faible, dénoncer serait plus juste) les comportements hypocrites d'une société où reconnaitre que l'on peut être attiré charnellement et prendre du plaisir à la relation sexuelle est inavouable.
Points forts
- Le metteur en scène a renoncé à transposer la pièce à notre époque, préférant conserver le lieu et l'époque, la Vienne de la fin de l'Empire austro-hongrois où l'on se dépêche de s'amuser, et il a bien fait. Car ôter la période historique aurait été supprimer le côté "osé", le scandale qui constitue, à y bien réfléchir, tout l'intérêt de la pièce, jouée pour la première fois à Berlin (et non à Vienne) en 1921.
- Le jeu des comédiens, les costumes d'époque (Sonia Bosc), les décors (inévitable lit pour partie de jambes en l'air !) et les lumières, ainsi que la musique (bravo au saxo ! ), tout est juste. Le travail est de qualité.
- La découverte d'un auteur autrichien, mal connu en France (on préfère Stefan Zweig) et pourtant célèbre dans la littérature en langue allemande du tout début du XXe siècle. La Rondeest sa pièce la plus connue.
Quelques réserves
- Schnitzler a voulu choquer, pour inviter à réfléchir, en toute lucidité, à la quête du plaisir et à la dégradation des moeurs. Mais on peut contester qu'il ait réussi à aller au-delà d'un aimable vaudeville.
- 10 tableaux, c'est un peu long ! On comprend vite qu'il s'agit d'un procédé littéraire répétitif (artifice comique bien connu), qui provoque cependant une certaine lassitude, frôlant l'ennui vers la fin. Ce n'est pas la faute du metteur en scène ni des comédiens mais du texte. On a l'impression d'une pièce de jeunesse, mal ficelée, inaboutie.
- La psychologie des personnages est peu fouillée, les répliques ne brillent pas par "l'esprit"; bref, il manque tout ce qui fait le succès d'un Feydeau ou d'un Labiche.
- Si toutes les couches de la société sont censées être représentées, on note tout de même l'absence d'ouvriers, d'artisans, de paysans... il est vrai qu'à Vienne, on croisait peut-être plus de femmes du monde ou de mauvaise vie que de paysannes courbées sur les champs...
- Les phantasmes des hommes et des femmes sont-ils éternels, de tous temps ou bien dépendants d'une société donnée ? L'auteur ne semble pas avoir voulu donner de réponse.
- On peut être dérouté, et trouver peu d'intérêt, à cette succession de petites histoires où le héros principal est l'attirance des corps mais où l'analyse de la recherche du plaisir -qui a tant inspiré Freud, autre célèbre Viennois- semble absente.
Encore un mot...
Admettons qu'on ne saurait toujours être sérieux et qu'un peu de légèreté peut égayer les longues soirées d'hiver. Ne boudons pas le plaisir. Mais ça ne va pas loin, on rit peu... On comprend surtout, c'est déjà pas mal, pourquoi, dans cette société "coincée" où l'hypocrisie et le non-dit étaient de mise, le divan de Freud ne désemplissait pas ! Faut-il en déduire que la liberté des moeurs mène à plus d'équilibre ou plus de bonheur ? Vaste question !
Une phrase
A la comédienne célèbre qu'il veut séduire, le personnage incarnant l'auteur de théâtre, préférant faire durer la phase séduction pour retarder celle de la "consommation" -parce qu'il doute de ses capacités-, lui adresse cette réplique : "Une femme comme toi ne se consomme pas avant le déjeuner".
L'auteur
Arthur Schnitzler (1862-1931) compte parmi les grands de la Belle Epoque viennoise où s'épanouirent les talents de Strauss, Freud, Zweig, Schiele, Kokoschka, et tant de célébrités. Son père, laryngologue renommé, recevait dans son cabinet particulièrement les chanteurs d'opéra et les comédiens, d'où sans doute l'attirance du jeune Schnitzler pour le théâtre, écrivant dès sa jeunesse, des petites pièces et des nouvelles. Lui-même, prenant la succession de son père, exercera cette spécialité médicale.
Ses oeuvres de romancier et de dramaturge (environ 7 recueils de nouvelles, 2 romans, 7 pièces de théâtre), très populaires en Autriche, n'ont été connues en France que tardivement, de façon confidentielle après la Seconde Guerre mondiale et, plus largement, dans les années 1990, lorsque quelques unes ont été publiées en Livre de Poche.
Plusieurs ont été adaptées au cinéma, notamment par Max Ophuls. Depuis, on a publié son Journal et sa Correspondance avec Stefan Zweig (éditions Rivages Poche).
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