À la Recherche du temps perdu
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Thème
- Tout de crème vêtu, un homme entre en scène une valisette à la main et se met à évoquer le désordre des chambres qu’il a occupées, la variété des couleurs et des matières qui en faisaient le décor, le moment de son coucher lorsqu’enfant il attendait la venue de sa mère, sa mémoire réveillée par la dégustation d’une madeleine trempée dans du thé et la sensation qu’elle produit, le petit pan de mur jaune d’un tableau de Vermeer qu’un écrivain a voulu revoir au risque d’en mourir, les noms de lieux et de gens et leur puissance d’évocation, la transparence des joues d’Albertine.
- Cet homme c’est Marcel Proust, ou du moins le narrateur de la Recherche du temps perdu qui, sans s’embarrasser de récit, de psychologie ou de rebondissement, plongeant son regard dans celui du public, tour à tour grave ou souriant, profond ou primesautier, distille les mots qui servent sa quête.
Points forts
- Les choix d’extraits sont très convaincants et les enchaînements entre les pièces de ce puzzle parfaitement fluides : faire tenir La Recherche en 75 minutes était une vraie gageure, réussie ! • En renouant avec les moments les plus connus du texte, on saisit en profondeur les raisons de ce succès : il y a dans le récit du coucher, celui du souvenir réactivé par le goût de la madeleine, ou la mort de Bergotte comme un précipité du plus précieux de La Recherche.
- Le refus de la stylisation et celui du naturalisme est également parfaitement adapté : le costume est d’un luxe très tournant du siècle, les meubles d’abord drapés puis découverts sont juste assez désuets sans incarner une époque, le squelette mécanique de la voiture d’enfant grince à point nommé. S’il ne s’agit pas positivement de réalisme, ces éléments insufflent un élan indispensable à ce face à face avec Proust et son étourdissante cérébralité.
- Il faut saluer aussi la performance du comédien, son culot, son énergie et son appropriation intelligente du texte.
Quelques réserves
- Évidemment, le temps vécu par le spectateur est ici contraint par le rythme du spectacle, le phrasé précipité de certains moments, les hésitations et les silences d’autres instants. • L’irremplaçable liberté du lecteur, qui peut revenir sur une phrase, s’arrêter, rêver est ici celle du comédien. C’est aussi cela le théâtre et il fallait sans doute ceci pour insuffler une indispensable oralité à ce qui est avant tout un texte.
- Évidemment, si on n’aime pas Proust ...
Encore un mot...
- Transformer la moins théâtrale des œuvres littéraires françaises en spectacle, donner à voir et à entendre ce qui avait vocation à être lu dans l’intimité silencieuse d’un tête-à-tête avec la page d’un livre, il fallait oser.
- A priori rien ne se prête à cette mise sur scène d’une œuvre fleuve : la longueur et la complexité d’une phrase ciselée, l’absence d’intrigue et de suspens. Le choix même de Virgil Tanase, qui évoque à peine Albertine, Gilberte et la duchesse de Guermantes, pas du tout Françoise, ni Odette, ni Swann, ni Madame Verdurin et ne consacre que deux mots à la grand-mère, bref qui élimine tout ce qui relève du récit avec ses personnages humains, ce choix permet d’affronter pleinement les sensations et cette longue méditation sur le temps, la mémoire, la vieillesse et la mort qui construit le fragile « édifice immense du souvenir ».
Une phrase
« Enfin il fut devant le Vermeer, qu’il se rappelait plus éclatant, plus différent de tout ce qu’il connaissait, mais où, grâce à l’article du critique, il remarqua pour la première fois des petits personnages en bleu, que le sable était rose, et enfin la précieuse matière du tout petit pan de mur jaune. Ses étourdissements augmentaient ; il attachait son regard, comme un enfant à un papillon jaune qu’il veut saisir, au précieux petit pan de mur. (…) C’est ainsi que j’aurais dû écrire, disait-il. Mes derniers livres sont trop secs, il aurait fallu passer plusieurs couches de couleur, rendre ma phrase en elle-même précieuse, comme ce petit pan de mur jaune. »
L'auteur
• Hypocondriaque, mais aussi fragile et asthmatique, Marcel Proust commence à écrire à 38 ans et c’est au fond de son lit, qu’il rédige une partie de La Recherche, luttant pour parvenir à achever son œuvre avant la mort.
• C’est que, pour lui, « la vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c’est la littérature » (Le Temps retrouvé), autant dire qu’il vit comme il écrit, un roman de l’inconscient, entre passé et présent.
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