La Putain respectueuse
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Thème
• Lizzie, une prostituée fraichement débarquée de New York dans une petite ville du sud des Etats-Unis, est témoin lors de son voyage en train, du meurtre d’un homme noir par un homme blanc, Thomas neveu du sénateur local.
• Naïve, sentimentale et fondamentalement intègre, elle se retrouve rapidement l’objet d’une manipulation redoutable menée par son client, Fred cousin de Thomas, et par le sénateur lui-même, les deux hommes tentant de lui arracher un faux témoignage.
• Lizzie résiste puis, vaincue par la force des arguments retors que les deux hommes lui opposent et l’inégalité de leurs positions respectives, elle finit par plier.
Points forts
• L’efficacité d’un texte sobre et dynamique qui évite les pièges du didactisme et du moralisme, tout en laissant toute leur place aux thèmes sartriens : le choix, la liberté, mais aussi l’ambivalence presque puritaine du rapport américain à l’érotisme.
• Une mise en scène vivante et rythmée qui, à sa façon, réactualise le texte en laissant plus de place à l’innocent injustement poursuivi, cet homme noir qui, courbé, passe et repasse derrière un astucieux rideau de fond de scène en fils rouges
• Le décor réaliste et crédible, saturé de rouge comme pour suggérer la touffeur du Sud et, au-delà, l’ambiguïté et la dissymétrie qui caractérisent les rapports entre les humains.
• L’enthousiasme sensible des acteurs de la compagnie Strapathella, tous très bons, non seulement à jouer cette pièce intense mais aussi à fouler à nouveau les tréteaux d’un théâtre plein de spectateurs.
Quelques réserves
On peut regretter le choix du costume – emblématique il est vrai du Sud profond et rural des États-Unis - du « nègre » qui, précisément, rabat la pièce et ses enjeux du côté d’une légende, fut-elle noire. Il y avait aussi dans le sud des États-Unis et dans les années 40 des Afro-américains bien vêtus et chaussés, et pourtant lynchés.
Encore un mot...
Les rouages d’une triple domination sont ici admirablement démontés et exposés par Sartre. Domination de genre : Lizzie ne parvient pas à se défendre contre la brutalité et l’autorité d’un Fred possédé par un désir qui le dégoûte.
Domination raciale des Blancs sur les Noirs ensuite, qui explique qu’un Noir « ne peut pas tirer sur des Blancs » comme le dit la victime de ce drame.
Domination sociale enfin : que peuvent un « nègre » pauvre et une femme qui vend son corps contre le pouvoir d’une classe dominante et arrogante ? Ces parias américains des années 1940 incarnent, avec une actualité saisissante au temps de Black Lives Matter, des siècles d’histoire du racisme, du sexisme, des prédations et des dominations.
Une phrase
• « Qu'est-ce que tu m'as fait ? Tu colles à moi comme mes dents à mes gencives. Je te vois partout, je vois ton ventre, ton sale ventre de chienne, je sens ta chaleur dans mes mains, j'ai ton odeur dans les narines. J'ai couru jusqu'ici, je ne savais pas si c'était pour te tuer ou pour te prendre de force. Maintenant, je sais. [Il la lâche brusquement]. Je ne peux pourtant pas me damner pour une putain. »
• « Quand des blancs qui ne se connaissent pas se mettent à parler entre eux, il y a un nègre qui va mourir. »
L'auteur
• Publiée en 1947, soit trois ans après le voyage que Sartre fit aux États-Unis comme envoyé du Figaro, La P… respectueuse - comme on l’écrivait alors - fut représentée pour la première fois en novembre 1948 au Théâtre Antoine.
• Le sujet est inspiré du procès inique intenté aux Scottsboro Boys, et qui suscita un vaste mouvement d’indignation : en 1931, neuf jeunes garçons noirs avaient été arrêtés, accusés d’avoir violé deux femmes blanches et condamnés pour huit d’entre eux à la peine capitale. Le plus jeune, âgé de 13 ans, évitait de peu la sentence.
• Sartre, fasciné par la démocratie et l’urbanisme américains, fut également un ardent dénonciateur de la violence des discriminations raciales qui régnaient dans ce pays. En 1964, refusant le prix Nobel de littérature, il évoquait les États-Unis : "En ce pays, (...) un homme sur dix est privé de ses droits politiques : en cette terre d'égalité et de liberté vivent 13 millions d'intouchables."
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