La Mort de Tintagiles
De
Maurice Maeterlinck
Conception musicale de Christophe Coin et Garth Knox
Mise en scène
Denis Podalydès
Avec
Christophe Coin, Adrien Gamba Gontard, Garth Knox, Leslie Menu, Clara Noël
Notre recommandation
3/5
Infos & réservation
Théâtre des Bouffes du Nord
37(bis) bd de la Chapelle
75010
Paris
01 46 07 34 50
ATTENTION: dernière représentation, jeudi 28 mai.
Vu
par Culture-Tops
Retrouver également les chroniques Toujours à l'affiche dans cette même rubrique
Thème
En guise de prologue, la pièce est précédée d’un poème de Stéphane Mallarmé intitulé Pour un tombeau d’Anatole, dans lequel Mallarmé évoque sa douleur à la suite de la mort de son fils. Le décor est planté pour La mort de Tintagiles…
L’amour et la mort, thème éternel…, mais traité ici comme un corps à corps dans une quasi-unité de lieu et de temps, fait d’espoir et de désespoir.
Nous sommes dans un conte allégorique. Un petit enfant fragile, Tintagiles, est sommé par la reine de rejoindre une île où se trouvent ses deux sœurs, Ygraine et Bellangère et leur vieux serviteur Aglovale. La reine, qui habite le « château malade » où « l’air est irrespirable », est réputée cruelle. Un pressentiment empreint d’angoisse s’installe : il faut protéger le petit Tintagiles « tombé dans la vallée ». Il faut l’aimer surtout, ce à quoi les deux sœurs s’emploient de tout leur cœur, comme si l’amour pur était le rempart contre le gouffre de la mort. Mais l’inéluctable advient, la mort aux aguets finit par l’emporter.
Points forts
Tout d’abord il s’agit -ici de « théâtre musical » et la musique y joue un rôle prépondérant, voire indispensable. Dès 1900, le compositeur américain Charles Martin Loeffler fera de cette œuvre un « poème symphonique » auquel il semble que la production de Denis Podalydès ait voulu rendre hommage : sur scène les musiciens accompagnent le discours de morceaux éclectiques (Bela Bartok ou Eric Satie y côtoient un chant gaélique irlandais ou des arrangements de Christophe Coin ou de Garth Knox) parfaitement adaptés au thème. Le macabre fait place au joyeux et inversement, mais c’est magnifique !
- Les instruments de musique sont à eux seuls une découverte. Qui connaît la harpe éolienne ou la viole d’amour ? Pas moi en tout cas… et ce sont des résonances qui « prennent aux tripes » et collent parfaitement au drame évoqué ici.
- L’enfant est représenté par une marionnette à l’aspect moribond, manipulé par les êtres vivants, comme si, dans son innocence et sa jeunesse, il appartenait déjà à un autre monde. Ce parti pris est très juste car on imaginerait mal un comédien « réel » jouant ce rôle…
- Le rôle d’Ygraine, le plus important, est admirablement interprété par Leslie Menu. Elle incarne à elle seule ce qui fait la qualité de cette pièce : légèreté, pureté, pudeur. Elle est crédible et émouvante.
- Les habitués de la scène des Bouffes du Nord découvriront un nouveau décor : un fond de scène déclinant des nuances de noir cubistes qui s’accordent fort bien avec cette atmosphère poétique et musicale habitée de lointains secrets.
Quelques réserves
Oui, c’est une pièce qui tourne autour de la mort, mais la mise en scène, par ailleurs irréprochable, abuse un peu de l’obscurité.
- D’emblée on est pris par l’intrigue, même si, d’emblée aussi, on en connaît le dénouement. On s’identifie à cet acharnement d’Ygraine et de sa sœur à vouloir sauver leur petit frère. On y croit même à un moment. Mais une fois que le sort est jeté, les « pourquoi » et les « comment » d’Ygraine ne nous intéressent plus beaucoup… Donc, tout à coup on sort de la magie du conte et on regarde sa montre. Est-ce le quart d’heure philosophique de Maeterlinck ?
Encore un mot...
Cartésiens s’abstenir ! Amateurs de poésie et de musique, bienvenus ! Il faut se laisser bercer, comme dans un demi-sommeil, par la beauté du texte et par les sons charnels de la viole d’amour jouée par Garthh Knox, comme si l’on se trouvait soudain projeté dans un autre monde inconnu, mystérieux, menaçant peut-être; mais que l’on ressent comme un trésor, à la sortie du théâtre lorsque l’on se retrouve dans le métro...
Une phrase
Celle qui m’a touchée et qui vient du poème de Mallarmé dédié à son petit garçon mort prématurément à 8 ans :
« Il a creusé notre tombe en mourant ».
L'auteur
Maurice Maeterlinck est né à Gand en 1862 et s’est installé à Paris à la fin des années 1880. A la fois poète, essayiste et dramaturge, il est l’une des grandes figures de la littérature francophone de la fin du XIXe siècle. Proche de Mallarmé et de Villiers de l’Isle Adam, il est fasciné par le mysticisme médiéval puis par le romantisme allemand. Au gré de ses influences, il deviendra l’un des précurseurs du symbolisme. Sa pièce de théâtre Pelléas et Mélisande est l’expression même de son écriture onirique, allégorique, surnaturelle.
Maurice Maeterlinck fut étroitement lié avec les compositeurs de son époque (Fauré, Schoenberg, Debussy, Sibelius) qui s’inspireront de ses œuvres, ce qui est le cas notamment de La mort de Tintagiles. A la fin de sa vie, Maeterlinck se passionne pour « l’intelligence du monde animal et végétal » à laquelle il consacre plusieurs essais, notamment sur la vie des fourmis. Il reçoit le prix Nobel de littérature en 1911.
Tweet
Le corps à corps éternel de l'amour et de la mort.
Ajouter un commentaire