La Légende d’une vie
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Thème
Leonore est la veuve de Karl Franck, sorte de Victor Hugo danubien à qui l’on voue un culte national. Elle organise dans la fastueuse maison familiale, devenue temple à la gloire du génie, la première lecture des œuvres de leur fils, Friedrich, lui-même poète. Toute la haute société se presse à la réception. Or Friedrich est écrasé par la figure du père : ses vers, croit-il, ne provoquent l’intérêt que parce qu’il est le “fils de…”. Il ignore que la vie de Karl Franck n’est pas aussi exemplaire que le veut la légende patiemment bâtie par Leonore avec l’aide de Hermann Bürstein, biographe du maître, qu’elle manipule. Une inconnue s’invite alors : Maria Folkenhof. C’est l’ancienne maitresse de Karl, elle sait tout, elle a des lettres que l’on croyait brûlées, elle va les montrer et délivrer Friedrich du passé, au risque d’anéantir l’univers de Leonore…
Points forts
Avec une distribution pareille, au service d’un auteur du calibre de Stefan Zweig, vous vous attendez à assister à un beau moment de théâtre : vous ne serez pas déçus.
Christophe Lidon s’était déjà frotté à l’œuvre de l’écrivain viennois il y a quelques années en mettant en scèneLettre d’une inconnue, où une Sarah Biasini bouleversante incarnait l’amante oubliée d’un romancier à succès. Dans la Légende d’une vie, il met au service du huis-clos imaginé par Zweig une troupe d’acteurs soigneusement choisis. Pour leur talent, bien sûr, mais aussi parce que trois d’entre eux ont quelque chose en commun avec leur personnage. Comme Maria, Macha Méril est une “revenante” – elle s’était volontairement retirée de la scène il y a cinq ans. Gaël Giraudeau ressent plus qu’un autre le personnage de Friedrich parce qu’il s’est lui aussi mesuré à la figure du père disparu. Comme mère confrontée au départ d’un enfant du giron familial, Natalie Dessay avoue comprendre le désarroi de Leonore devant Friedrich et, comme cantatrice, sa quête de la perfection dans l’art... Tout cela donne à la pièce un supplément d’âme palpable.
Quelques réserves
Je n’en vois pas. On pourrait juger, au début, Natalie Dessay un peu psychorigide en vestale gardienne du temple mais, au contraire, sa sévérité première souligne d’autant plus les tourments subconscients du personnage qui éclatent dans la scène finale, où elle s’avère éblouissante. Après Und, de Howard Barker, c’est sa deuxième apparition sur les planches depuis qu’elle a abandonné le chant lyrique. Jouer est l’accomplissement d’un rêve de jeunesse.
Encore un mot...
Vous l’aurez deviné : chez les Franck, l’atmosphère est un tantinet freudienne. Zweig et Freud se voyaient à Vienne, et l’écrivain n’a jamais caché ce que l’épaisseur de ses personnages devait aux travaux du fondateur de la psychanalyse. Au-delà, il y a la croyance profonde de Zweig dans la justesse d’une “attitude civilisée” dans les relations humaines, qui consiste à admettre les raisons pour lesquelles “l’autre” se comporte comme il le fait. Maria et Leonore se battent pour d’excellentes raisons, les certitudes du spectateur – le bien d’un côté, de l’autre le mal – s’estompent. Peut-être la solution est-elle dans le problème : l’amour qu’elles portent au même homme… On n’en dira pas plus.
Une phrase
Friedrich : « Vous avez un pouvoir sur les gens ».
Maria : « Oh n’exagérez pas, je ne suis rien de plus qu’un fantôme du passé ».
L'auteur
On ne présente pas Stefan Zweig (1881-1942) tant il est lu chez nous, avec des tirages de best-seller qui font le bonheur des maisons d’édition. Témoin et acteur de la flamboyance intellectuelle puis de l’effondrement, après la Grande Guerre, de la civilisation centre-européenne, la Mitteleuropa du Monde d’hier (testament autobiographique achevé en 1942, après quoi il se suicida), l’écrivain n’a livré qu’une petite dizaine de pièces de théâtre au milieu d’une production littéraire autrement considérable. Légende d’une vie sort en 1919 et passe à peu près inaperçu chez nous (à lire : la traduction parue en 2011 chez Grasset). L’œuvre de Zweig tombant dans le domaine public, Christophe Lidon découvre la pièce ; il demande alors à Michael Stampe de retravailler le texte français “officiel” – « Un peu vieux théâtre », dit-il – en partant de l’original allemand. Le récit s’en trouve resserré sur les personnages principaux ; indéniablement, le huis-clos y gagne en intensité. Signalons qu’une autre traduction-adaptation (pour deux acteurs), due à la comédienne et metteur en scène Caroline Rainette, a été jouée à Paris, au Lucernaire, de mai à août 2018.
Commentaires
Merci pour votre article !
Je précise que les Éditions Dacres ont publié notre version en 2017, le passage de Stefan Zweig dans le domaine public ayant enfin permis de revenir sur les anciennes traductions.
C’est cette même version que publient les Éditions de l’Avant scène, dans le contexte de la présentation du spectacle au théâtre Montparnasse, version complétée d.interviews et d’articles de fond.
Cordialement
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