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Thème
Solaro accompagne sa mère dans ses derniers instants. Il a une petite amie, Louise, un travail et un ami, Ange, une vie plutôt tranquille dont il savoure chaque instant et chaque micro plaisir avec une innocence totale : de la traversée de Paris en voiture à l’odeur d’amande du savon, en passant par la petite fleur violette éclose dans une fêlure du bitume.
Et puis tout bascule : ce fils aimant enterre sa mère, sa compagne lui réclame un enfant, il est rossé par un caïd sur un parking et finit, presque accidentellement par commettre un meurtre.
Points forts
La beauté du texte fluide, souvent drôle, toujours concis, tient dans l’évocation ciselée et pourtant simple de ces plaisirs minuscules et sensoriels. L’interprétation en reste ouverte : peut-on aimer cette innocence égoïste qui se suffit à elle-même ? Que cette question demeure sans réponse fait aussi tout le sel du spectacle.
L’interprétation est subtile, très en phase avec le texte, et dialogue bien avec la musique, même si on ne comprend pas tout à fait le rôle, dans cette histoire, de la chanson italienne.
Olivier Ruidavet prête avec grâce son corps et sa voix à cet éloge de la légèreté, bien éclairé par des lumières plus ou moins colorées, un peu coincé toutefois entre les panneaux de tissus qui pourraient figurer un livre ouvert, mais rétrécissent (peut-être à l’excès) l’espace.
Quelques réserves
Elles concernent avant tout la nature du texte : un roman philosophique soit, mais encore faut-il que le contenu spéculatif en soit parfaitement lisible. En mêlant idées générales, présentées comme des principes, et fiction du particulier, proposée pour sa force démonstrative, le roman offre une réflexion sur la notion de joie, sauf qu’il mêle tant d’autres choses à cette réflexion que la logique s’en perd un peu. En évitant toute appréciation, tout jugement, le discours manque au fond de clarté didactique.
Voici donc Solaro : 1/3 stoïcien car résistant au malheur ; 1/3 sceptique tant il est disposé à l’ataraxie ; 1/3 hédoniste, car capable de vivre les petits plaisirs d'une âme tranquille. Certes, c’est un homme libre, mu par un élan vital réjouissant, mais aussi un solitaire qui se suffit à lui-même, coupé du monde commun et commun parce que partagé.
C’est ainsi que voir grandir un enfant avec Louise ou passer le reste de sa vie sans elle, les deux choses lui paraissent également enviables, car tout lui plait. Prendre les choses comme elles sont et comme elles viennent, c’est aussi ne pas les prendre du tout, troquer sa faculté de rêver, d’agir et d’espérer, de juger aussi, contre une forme de passivité, de résignation, de renoncement à l’action. Ou est-ce de la sagesse ?
- Bref, cet hommage au « plaisir d’exister qui donne envie de chanter » n’est pas complètement convaincant, même si on peut goûter le flottement plein de charme dans lequel il installe le spectateur.
Encore un mot...
Il y a évidemment de l’Etranger dans ce texte. Certes, Solaro est un joyeux quand Meursault est un être dépourvu d’émotion, mais tous deux sont également indifférents, rien ne les affecte véritablement, ce qui constitue un véritable défi, une insulte à l’ordre social et moral.
Cependant, le fait que Solaro soit hors norme, en proportion même de la joie irraisonnée qu’il éprouve, le démarque nettement de Meursault. Pure présence au monde et folie pour cela même, sa joie l’enracine dans la poésie et la vie, ce qui échappait justement à Meursault, ainsi qu’en témoigne la nudité de l’écriture de Camus. Pour Camus il n’y a pas de réponse claire à l’absurdité. Pour Pépin il semble y en avoir une : la joie.
- Dénonciation d’une société plaintive qui ne sait pas jouir de la plénitude de l’instant et préfère grogner et gémir, la pièce est désarmante d’apolitisme au sens où il n’est nulle part et jamais question des autres et des possibilités qu’offre le collectif.
Une phrase
Solaro [à propos de son avocat] : « Il dit que je suis un bon fils et un bon frère, je ne vois pas en quoi ça m’empêche d’être aussi un bon criminel. »
- [à son père] : « Je lui dis que ma sortie je n'y pense jamais. Jamais. Je lui dis que j'ai cette vie-là à aimer et que c'est bien assez. Je lui dis que je ne veux pas de son espoir parce que l'espoir est un poison : un poison qui nous enlève la force d'aimer ce qui est là. »
L'auteur
Ecrivain et philosophe, Charles Pépin est tout à la fois agrégé de philosophie, diplômé de Sciences Po Paris et d'HEC Paris et tient des chroniques de philosophie dans les émissions télévisées et radiodiffusées, notamment La Question philo et Sous le soleil de Platon, « émission quotidienne de philosophie pratique, existentielle et intime » sur France Inter.
- La Joie a été couronné par le prix des lycéens. Le spectacle, à Avignon cet été, a remporté un vrai succès et affiche complet pour cette saison à Paris.
Commentaires
Que ma joie demeure disait Giono. Belle et intelligente chronique qui convoque Camus !
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