La Chute

Confession en sous sol
De
Albert Camus
Mise en scène
Jean-Baptiste Artigas
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Théâtre de l’Essaïon
6, rue Pierre au Lard
75004
Paris
01 42 78 46 42
Jusqu’au 6 janvier 2025. Dimanche à 18h, lundis à 19h.

Thème

  • Dans un bar louche d’Amsterdam, Le Mexico city, un parisien courtois et prévenant se confie à un compatriote rencontré par hasard. Il lui raconte sa vie d’autrefois, sa situation enviable d’avocat brillant, fier de son intégrité, heureux de s’estimer et de se trouver du « bon côté de la barrière » - là où on ne juge pas mais où on défend, d’autant plus qu’il se consacre aux nobles causes. Il coule ainsi une existence sinon heureuse du moins satisfaite, entre amours sans lendemain et gratitude de ses obligés, jusqu’au moment où la comédie commence à s’érailler.

  • Tout bascule brutalement le jour où, passant sur le Pont Royal, il croise une jeune fille penchée sur le parapet, sans s’arrêter. La culpabilité le poursuit alors jusque dans la débauche. Il décide de fuir Paris et se réfugie à Amsterdam, cette ville de brouillard dont les canaux concentriques ressemblent aux cercles de l’enfer, où il se proclame « juge pénitent. »

Points forts

  • Dans la simplicité suggestive du face à face de deux fauteuils en bois, d’un éclairage savant et avec le secours d’un piano, l’acteur livre une irréprochable interprétation de la détresse de Jean-Baptiste Clamence et du divorce intérieur qui est le sien.

  • Sa confession – quoique sensiblement raccourcie - est fidèle à l’esprit du livre et à ses cinq entretiens, le passage de l’un à l’autre étant scandé par la virtuosité pianistique.

Quelques réserves

  • Est-ce la nature d’un texte très cérébral qui, malgré sa densité et sa beauté, ne se prête qu’imparfaitement à la mise en scène ? Ou alors l’interprétation très concentrée qui laisse un peu le public sur la touche ? En tout cas, l’émotion n’est qu’à moitié au rendez-vous. On comprend la douleur du personnage, on sourit de son cynisme et de son désenchantement, mais quelque chose ne se passe pas et on sort du spectacle l’esprit en éveil mais la sensibilité en repos… même les larmes du comédien ne parviennent pas tout à fait à ébranler cette quiétude spectatrice.

Encore un mot...

  • Le jugement est au cœur de ce texte : celui qu’on porte sur les autres, et surtout celui qu’on exerce sur soi-même, matrice de toutes les culpabilités et de nombreux déchirements. Et donc la liberté, évidemment : celle de s’arrêter ou pas, de voir ou pas, de secourir ou pas. Et de subir les conséquences de l’irréversible qu’il y a dans ces choix.

  • Bien sûr, la confession de Clamence est calculée : elle est devenue le cœur de la “petite entreprise de repentir“ de ce juge pénitent, enfermé dans un monde sans Dieu et voué à l’absurdité comme à la labilité de la morale, un monde qui va mal. « Il a le cœur moderne, c'est-à-dire qu'il ne peut supporter d'être jugé » disait Camus de son personnage, ajoutant « Où commence la confession, où l'accusation ? Celui qui parle dans ce lieu fait-il son procès, ou celui de son temps ? »

Une phrase

  • « Le sentiment du droit, la satisfaction d’avoir raison, la joie de s’estimer soi-même, cher monsieur sont des ressorts puissants pour nous tenir debout et nous faire avancer. Au contraire, si vous en privez les hommes vous les transformez en chiens écumants. Combien de crimes commis simplement parce que leur auteur ne pouvait supporter d’être en faute ! »

  • « L’avidité qui, dans notre société, tient lieu d’ambition, m’a toujours fait rire. Je visais plus haut. »  

  • « Atteindre plus haut que l’ambitieux vulgaire et se hisser à ce point culminant où la vertu ne se nourrit plus que d’elle-même. »

  • « Avez-vous remarqué que la mort seule réveille nos sentiments ? Comme nous aimons les amis qui viennent de nous quitter, n’est-ce pas ? »

L'auteur

  • Ce « phénomène littéraire inaugural » écrit par Camus en 1955, au statut générique indécis - monologue théâtral, court roman, longue nouvelle, essai -  est l’une de ses dernières œuvres de fiction, sorte d’invitation adressée à lui-même et à ses semblables à se faire les juges d’eux-mêmes. 

  • Deux ans plus tard, Camus reçoit, à 44 ans, le prix Nobel de littérature, et à cette occasion rappelle que « celui qui, souvent, a choisi son destin d’artiste parce qu’il se sentait différent apprend bien vite qu’il ne nourrira son art, et sa différence, qu’en avouant sa ressemblance avec tous. »  

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