La Cantatrice Chauve

Pauvre Ionesco !
De
Eugène Ionesco
Mise en scène
Pierre Pradinas
Avec
Romane Bohringer, Stéphane Wojtowicz, Aliénor Marcadé-Séchan, Matthieu Rozé, Thierry Gimenez, Julie Lerat-Gersant
Notre recommandation
2/5

Infos & réservation

Théâtre du 13e Art
Place d’Italie – Centre Commercial Italie II
75013
Paris
01 45 45 49 77
Jusqu'au 10 décembre, à 19h

Thème

Quasi archétypale du théâtre dit de l’absurde, « La Cantatrice Chauve » fut ainsi intitulée par Eugène Ionesco en raison du fait qu’ « aucune cantatrice chauve ou chevelue n’y fait son apparition. » Le couple Smith, anglais bon teint, reçoit le couple Martin. 

Cette pièce a priori comédie intimiste et bourgeoise va très vite partir en vrille, par ses dérapages de langage et son aspect insolite, en démontrant l’absurdité de certaines situations, si on les pousse jusqu’au bout. 

Points forts

Romane Bohringer apporte à l’aventure son charme, sa grâce, sa fraîcheur, sans jamais sombrer dans une tendance au laisser aller qui semble souhaitée par le metteur en scène. Plutôt que chez des anglais, « so british », il dirige Monsieur Smith vers une composition de « beauf » bourgeois, dont on se demande comment sa femme peut le supporter. Pourtant Bruno Wojtowicz est un bon comédien...

Quelques réserves

- Dès le début on s’interroge sur l’attitude de la bonne, étrangement vêtue. L’arrivée du couple Martin confirme le désir du metteur en scène d’orienter les rôles masculins vers une sorte de vulgarité. Le propos de la pièce est absurde, certes, mais il peut atteindre le comique que souhaite Ionesco qu’à la condition d’être en contradiction totale avec le jeu des acteurs. Plus on paraît sérieux, plus le décalage de l’absurde prête à rire. Or ici, ils cherchent systématiquement à être drôles.

- L’arrivée du couple Martin dans sa surprenante conversation d’un homme et d’une femme qui semblent ne pas se connaître et découvrent, au fil de la conversation, qu’ils sont bel et bien mariés, se déroule, elle aussi, avec cette sorte de mollesse dans l’attitude de l’homme, qui n’a rien non plus de britannique.

- L’histoire interminable du pompier ne parvient pas à faire rire, car autour de ce dernier, les autres ne cessent de s’agiter, de lancer les bras en l’air, de se trémousser, de courir dans tous les sens ; tant et si bien qu’on parvient mal à saisir le comique de cette situation absurde. Le spectacle finira avec des gobelets lancés par tous ; ils tombent même des cintres.

- J’avoue avec tristesse avoir été déstabilisée par le spectacle. A mon retour, j’ai retrouvé grâce à l’INA et You Tube des extraits de la mise en scène de Nicolas Bataille, celle qui perdure au Théâtre de la Huchette depuis un nombre hallucinant de décennies: la pièce existe, le comique est là. J’accepte, sans peine, que l’on me traite de misonéiste, mais j’ai l’impression que « La Cantatrice chauve » y est mieux servie. Il est vrai que là-bas, elle a reçu « l’imprimatur », si j’ose dire, d'Ionesco lui-même, en son temps. 

Encore un mot...

Arrivée pleine de bonheur à l’idée de découvrir un nouveau lieu consacré avec courage au Théâtre, j’avoue m’être souvent ennuyée à ce spectacle démonstratif qui ne sert guère son écriture. Certes le prétexte de l’absurde peut induire à déraper, et c’est en quelque sorte ce qu’il advient sur cette scène trop vaste, dans un décor trop grand, où les effets spéciaux n’ont que peu d’impact. 

Seule Romane Bohringer parvient à nous donner des moments de grâce, de sincérité, de charme authentique. Mais que diable allait-elle faire….. ? Comme le dit Molière dans Scapin. 

Une phrase

Mme et M. Martin s’assoient l’un en face de l’autre, sans se parler. Ils se sourient, avec timidité.
M. Martin, d’une voix traînante, monotone, un peu chantante, nullement nuancée: -" Mes excuses, Madame, mais il me semble, si je ne me trompe, que je vous ai déjà rencontrée quelque part.
Mme Martin - A moi aussi, Monsieur, il me semble que je vous ai déjà rencontré quelque part.
M. Martin - Ne vous aurais-je pas déjà aperçue, Madame, à Manchester, par hasard ?
Mme Martin - C’est très possible ! Moi, je suis originaire de la ville de Manchester ! Mais je ne me souviens pas très bien, Monsieur, je ne pourrais pas dire si je vous y ai aperçu ou non !
M. Martin - Mon Dieu, comme c’est curieux ! Moi aussi je suis originaire de la ville de Manchester, Madame !
Mme Martin - Comme c’est curieux !
M. Martin - Comme c’est curieux !... Seulement moi, Madame, j’ai quitté la ville de Manchester il y a cinq semaines environ.
Mme Martin - Comme c’est curieux ! Quelle bizarre coïncidence ! Moi aussi, Monsieur, j’ai quitté la ville de Manchester il y a cinq semaines environ.
M. Martin - J’ai pris le train d’une demie après huit le matin, qui arrive à Londres un quart avant cinq, Madame.
Mme Martin - Comme c’est curieux ! Comme c’est bizarre ! et quelle coïncidence ! J’ai pris le même train, Monsieur, moi aussi !
M. Martin - Mon Dieu, comme c’est curieux ! Peut-être bien alors, Madame, que je vous ai vue dans le train?
Mme Martin - C’est bien possible, ce n’est pas exclu, c’est plausible et, après tout, pourquoi pas ! Mais je n’en ai aucun souvenir, Monsieur." 

L'auteur

Eugène Ionesco est né en Roumanie en 1909 et décédé à Paris en 1994. Faisant partie de ces générations frappées par l’absurdité de la guerre, il adopta une forme de verve quasi surréaliste, après cette guerre de 14-18. Il devient assez vite l’un des chefs de file de ce mouvement littéraire, montrant la vacuité des propos tenus et l’embourgeoisement des êtres, et  la difficulté de communication des couples. 

La lecture de la méthode « Assimil » pour apprendre l’anglais lui inspira cette "Cantatrice Chauve" qui se joue depuis sa création. Plus tard des aspects métaphysiques vont inspirer son œuvre, « Le Rhinocéros », « Le Roi se meurt », qui s’enrichira jusqu’au bout, avec une certaine forme de spiritualité. 

Il était membre de l’Académie Française depuis 1970 et son théâtre était entré au répertoire de la Comédie-Française avec « La Soif et la faim ».

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