KANATA- Episode 1 - La Controverse
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Thème
Vaste fresque théâtrale décrivant les malheurs et vicissitudes des tribus autochtones amérindiennes soumises à la violence de l'après colonisation, telle est Kanata, ancêtre du nom même du pays, signifiant Village en langue iroquoise ; marginaux et laissés pour compte, héritiers tragiques des tribus Hurons et Iroquois, chères à ce Fenimore Cooper qui a bercé notre enfance avec le "Dernier des Mohicans". Hélas, finis les grizzlis et les castors, adieu les trappeurs et leurs amis Hurons, au revoir forêts ancestrales... place au déclassement, aux réserves-prisons et à ce qui reste de ces terribles pensionnats, véritables maisons de redressement pour enfants apeurés, aux familles écartelées par un pouvoir blanc avide et insensible, place à l'alcool, à la drogue, à la prostitution... et aux salles de shoot. Elle est bien loin ma cabane au Canada ! 3 siècles d'un quasi esclavage des tribus autochtones se sont écoulés dans la ségrégation, le désespoir, la déchéance. Il "fallait tuer l'Indien dans l'indien." disait on à Ottawa.
Maintenant il est temps, pour le metteur en scène, Robert Lepage ("visionnaire" adulé au Québec), de régler les comptes des communautés, avec le concours de la troupe d'Ariane Mnouchkine et de voler au secours des minorités ethniques. Le point de départ : nous sommes à Vancouver, dans les docks de Dowtown Eastside, quartier dévasté, au début du 21ème siècle ; un fait divers authentique donne le ton de la pièce et allume l'étincelle, ou plutôt met le feu aux poudres : un dangereux individu "blanc", éleveur de porcs de son état a tué des femmes, au couteau (on le voit à l'œuvre sur scène, avec sa dernière victime, dans sa roulotte), toutes autochtones, semble- t- il : 49 en tout, oui, 49 jeunes prostituées alcooliques ou décavées. Outre l'intrigue policière qui s'ensuit, tel un bon thriller, jusqu'à l'arrestation et aux aveux spectaculaires du psychopathe, une histoire parallèle se met en place en fil rouge : une femme artiste peintre, Miranda, s'est mise en tête de réhabiliter ces femmes en les peignant une à une pour témoigner de leur souffrance et en les exposant dans une grande galerie à Ottawa ; double controverse, double scandale, sur les planches... et aujourd'hui encore, hors les planches : atteinte indécente à la dignité, appropriation culturelle inappropriée ? Miranda sera désavouée. On en jugera.
Points forts
1/ Du spectacle, encore du spectacle, rien que du spectacle (et du spectaculaire).
Les 35 comédiens de la troupe évoluent en souplesse dans un chassé croisé de décors qui font cohabiter insensiblement, en glissant en large et en travers et dans toute la profondeur de l'immense scène du Théâtre du Soleil, un superbe loft sur la baie de Vancouver, un commissariat de police aux 10 bureaux , un quai encombré de containers géants autour desquels gravite une faune de cent et un SDF, musiciens parfois voleurs toujours, un élevage de 50 cochons couinant (c'est bien joué!), une immense forêt de thuyas géants et d'épicéas de la Colombie Britannique, ces arbres iconiques qu'on abat (sur scène !)
2/ Un thriller bien ficelé
L'enquête est bien menée. En particulier, la scène des aveux du tueur en série qui se fait piéger dans sa propre cellule équipée de caméra et d'une glace sans teint par un mouchard faux complice (un flic déguisé)
3/ L'aspect documentaire historique
Il nous touche particulièrement, nous Français découvreurs de l'Acadie, sur les pas de Champlain et dans le sillage de Jacques Cartier. Il nous renvoie à d'autres épisodes et lieux de colonisation telle la Nouvelle Calédonie par exemple et, à l'opposé, vers les Aborigènes d'Australie. Et c'est, par voie de conséquence, l'évocation d'un rôle essentiel, encore un, du théâtre, un rôle humaniste via cette fois-ci le regard d'artistes témoins de leur temps et conscience de la société.
Quelques réserves
Il y en a malheureusement et c'est dommage car l'intention est bonne. Deux aspects touchant à la réalisation valorisent le spectacle mais déprécient la tension dramatique:
1/ Le côté feuilleton hollywoodien, un peu carton pâte, que l'on apprécie moyennement en France. Des grizzlis traversent la scène, des pirogues glissent lentement sur un océan de brumes épaisses, des silhouettes emplumées errent derrière des troncs d'arbres stylisés promis à la déforestation. Malgré une scène superbe - la pirogue indienne qui se retourne très doucement à 3 mètres de hauteur avec ses deux personnages en plein trip qui basculent tout doucement dans le vide - ce traité western nuit à notre avis à la dramaturgie. On a l'impression d'être au cinéma, pas toujours au théâtre.
2/ Des séquences, montées comme au cinéma justement, souvent inutiles et au jeu approximatif. Par exemple, au tout début l'arrivée à Vancouver du jeune couple de blancs, Miranda et son compagnon aspirant comédien, assez médiocre dans les 2 facettes du rôle. C'est long et hors sujet.
Encore un mot...
L'alliance du feu-Ariane et de la glace-Robert ne peut produire, hélas, une deuxième "Chambre en Inde". Font défaut un exotisme authentique, la dimension épique, une écriture resserrée... et l'émotion. Pourtant les acteurs de la Troupe du Soleil, aux trois quarts autochtones eux aussi, afghans, pakistanais , indiens, font ce qu'ils peuvent, certains excellents d'autres sans conviction. Restent les beaux sentiments et la compassion plus quelques morceaux de bravoure, tel le très beau tableau final, chorégraphie chinoise, métaphore "opiacée" d'une deuxième colonisation. En résumé, un spectacle humaniste original qui demande à être rodé. On a un peu le temps (jusqu'en février) !
L'auteur
Né à Québec il y a 60 ans, Robert Lepage, entré au conservatoire de cette ville à 17 ans, est un artiste pluridisciplinaire prolifique. Tour à tour comédien, auteur dramatique, metteur en scène, réalisateur, il fait preuve d'une créativité débordante avec notamment l'utilisation des nouvelles technologies. Sa première pièce, Circulations, écrite à 23 ans lui vaut le prix de la meilleure production de la quinzaine internationale au Québec. Depuis, il met en scène ou écrit une pièce par an. Citons : La trilogie des Dragons, Vinci, le Polygraphe, les Plaques tectoniques, la Damnation de Faust, 1984(d'après Georges Orwell). Il met en scène brillamment Shakespeare avec Macbeth, la Tempête, le Songe d'une nuit d'été... il touche même à l'Opéra.
Produit aussi en France (Palais de Chaillot, Théâtre du Rond Point ), il participe régulièrement aux festivals d'automne de Paris comme cette année chez sa fervente admiratrice Ariane Mnouchkine. Mais là, la polémique venue d'Amérique du Nord enfle... ses détracteurs ne sont autres que les Indiens autochtones eux mêmes qui, faute d'avoir été invités à jouer leur propres rôles, hurlent à la spoliation culturelle. "Ce qui est à la rue doit rester à la rue !"
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