J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne
Durée : 1h30 sans entracte.
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Thème
Une mère et ses cinq filles attendent. Depuis le départ du petit frère, véritable héros, disparu après une dispute, plus brutale que d’habitude, avec son père. Il s’en est allé, les laissant sans nouvelle, dans une attente qui n’a plus de fin. Depuis, le père est mort. Elles son demeurées seules. On comprend très vite que le jeune frère est revenu, qu’il s’est effondré sans dire un mot et qu’il dort dans sa chambre. On ne le verra jamais. Cette absence, plus lourde qu’une présence, obsède ces cinq femmes qui, d’une certaine manière, ont sacrifié leur vie à l’attendre.
Points forts
1- Le travail de Chloé Dabert est techniquement parfait, soigné, abouti. C’est un spectacle superbement interprété par de très bonnes comédiennes, qui lancent tour à tout leur version, narrée ou rêvée de cette attente et de ce que ce frère représentait pour chacune d’elles.
2- J’ai été surprise par le fait que Clotilde de Bayser interprète la mère. Elle semble si jeune. Elle est néanmoins très juste.
3- Le retour de ce fils prodigue semble avoir débloqué la parole de ces femmes, qui semblent vivre ensemble au cœur de cette grande maison, dans une sorte d’étanchéité les unes avec les autres. C’est parfaitement fait, joué. Mais il n’y a que peu d’émotion ressentie en dépit de tous ces talents additionnés. On a plus à voir et à entendre des « soliloques » que cette espèce de chant choral qu’inspire la rythmique de la pièce.
Quelques réserves
1- Belle production. Beau décor. Mais trop vaste, trop blanc, à mon sens inapproprié à cette univers clos de femmes recluses. Le fait de voir la chambre du jeune homme mort ou encore vivant rend son absence de présence, plutôt moins présente -si j'ose dire- que si on ne l’apercevait pas dans les transparences, ici essentielles, dans le concept.
J’ai vu cette pièce interprétée par une jeune compagnie au Théâtre du Nord-Ouest, avec de jeunes comédiennes, évidemment loin encore du magnifique niveau professionnel de toutes ces grandes dames du Français, et pourtant j’ai été émue davantage.
2- Chaque séquence est ponctuée avec des sortes de bruits sourds évoquant des tonnerres, ou des pas lourds annonciateurs de dangers potentiels. Les cinq femmes qui vont et viennent, montrant leur vie au sein de la transparence de cette maison font oublier une partie de cette notion d’enfermement quasi aliénant.
3- Il y a une magnifique musique dans le texte de Jean-Luc Lagarce, une immense poésie, faite de cette étrange rythmique de sa langue, ces aller et retours, ces redites ponctuées, que je n’ai pas retrouvées.
C’est un magnifique travail, au scalpel, comme si cette maison était devenue un lieu mystérieux dont un petit démon soulèverait le toit pour montrer tout ensemble tous les secrets en même temps. Mais pour moi, il y a trop de transparences et Dieu sait pourtant qu’elles sont belles et élégantes.
4- Chloé Dabert a, semble-t-il, exclu la passion du jeu de ses comédiennes. Or ce moment privilégié, où le non dit va enfin s’exprimer, chacune extirpant de son rêve ou de son souvenir la trace douloureuse de cette vie d’attente, de vie irrémédiablement gâchée, en méritait peut-être.
Encore un mot...
Jean-Luc Lagarce, trop tôt disparu, était un véritable auteur, un poète, et cette pièce a la beauté et la grandeur d’une tragédie. Cinq femmes, sans oser choisir leur destin, un destin construit autour de l’attente du retour du frère disparu depuis longtemps et revenu dans un état proche de la mort, l’ont pourtant choisi, en acceptant de gâcher leur vie à l’attendre. La mort libératrice permettra-t-elle à certaines d’entre elles d’ouvrir les portes vers une autre vie possible ? C’est ce que j’attendais. J’ai vu autre chose, de très beau, je l’accorde.
Une phrase
« J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne. (…) Je regardais la route et je songeais encore aux années que nous avions vécues là, aux années que nous avions perdues à ne plus bouger et le temps que j’aurais pu passer loin d’ici, déjà, à ne pas attendre, à bouger de moi-même. »
L'auteur
Jean-Luc Lagarce (1957-1995) est actuellement l’auteur contemporain le plus joué en France. Son œuvre connaît un succès grandissant depuis sa disparition. Elle est traduite en vingt-cinq langues. Il a fait des études philosophiques et écrit une dizaine de pièces dont certaines ont été adaptées à l’écran ou figurent au programme des études de Lettres ou de Théâtre. Il est aussi l’auteur d’un vaste journal de sa courte vie.
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