Je ne suis pas une arme de guerre
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Thème
En fond de scène vide, sur l’écran blanc, des mots en lettres noires : « Les femmes sont un champ de bataille comme les autres »… Une femme, cheveux longs et bruns, vêtue d’une longue robe blanche sans manches, s’approche. A l’autre bout de la scène, un guitariste. Et les mots surgissent, par séquences. Ils racontent la guerre de l’ex-Yougoslavie en 1998, le Kosovo, la sauvagerie, les exactions, les humiliations, les viols, les meurtres de femmes, d’enfants, de vieillards, les charniers…
Le texte est adapté de « Journal d’une femme du Kosovo » de Sevdije Ahmeti, militante albanaise des droits de l’homme.
Femme sacrificielle là, horreurs du nettoyage ethnique ici. Les villes, les villages anéantis. La comédienne égrène les noms : Pristina, Prugova, Vukovar, Sarajevo,… Les « bouchers » serbes des Balkans : Slobodan Milosevic, Radovan Karadzic, Ratko Mladic,… « Vous souvenez-vous ? », nous demande la femme enveloppée dans sa longue robe blanche. Qui évoque aussi d’autres théâtres de l’horreur : Falloujah l’Irakienne, Kaboul l’Afghane, Sabra et Chatila, le Rwanda,…
« Je ne suis pas une arme de guerre » comme auparavant « Journal d’une femme du Kosovo », est la somme de témoignages de femmes victimes des monstres de guerre.
C’est aussi le nécessaire et indispensable devoir de mémoire, ce devoir de pointer toutes les folies nationalistes et leurs conséquences, tous ces crimes perpétrés par le viol utilisé comme une arme de guerre. Chez les barbares modernes, en ex-Yougoslavie ou partout ailleurs, la dignité humaine n’a plus aucun sens…
Points forts
- La violence et la puissance des mots, du texte de Sevdije Ahmeti, adaptés par Safet Kryemadhi.
- La mise en scène minimaliste de Zenel Laci. Le blanc occupe tout l’espace, comme pour contrebalancer la noirceur du propos et de l’horreur.
- La densité de l’ensemble, telle que le spectateur est immanquablement concerné.
- Accompagnée par Afrim Jahja (guitariste du groupe rock belge The Witness), la magnifique Anila Dervishi, comédienne venue du Théâtre National de Tirana, porte le texte, offre les mots, de sa belle voix, ample, profonde, bouleversée, bouleversante…
Quelques réserves
Qui oserait trouver un seul point faible à une performance théâtrale telle que ce « Je ne suis pas une arme de guerre » ? Peut-être celle ou celui qui, insensible ou cynique, ne voudra pas entendre les mots de Sevdije Ahmeti…
Encore un mot...
Une performance théâtrale, un événement sur la scène.
C’est violent, dense, perturbant… et c’est bien le moindre nécessaire pour lancer non pas un cri ou une plainte mais pour rappeler encore et encore l’horreur qu’au nom de la pureté ethnique, subissent les peuples martyrisés. Femme, enfant, vieillard, jamais je ne suis une arme de guerre, jamais je ne serai une arme de guerre…
Une phrase
« J’étais là, avec les autres. Ils nous ont rassemblés dans la cour de notre école. Un des militaires, le chef, a donné l’ordre de séparer les femmes des hommes. Soudain, il a pointé son doigt dans ma direction. Ma mère a aussitôt fait un pas en avant. Il s’est approché d’elle. Il l’a regardée, l’a insultée, l’a frappée, lui a ordonné de se déshabiller. Elle n’a pas réagi. Le chef a sorti son arme et l’a posée sur mon front. Ma mère s’est hâtée de se déshabiller. J’ai vu, devant tous les villageois, pour la première fois le corps nu de ma mère. Le chef a poussé un cri en direction des hommes de notre village. Dans sa langue, il a exigé que « le frère de cette putain sorte du rang ». Je sentais toujours son arme pointée sur mon front. Mon oncle a hésité. Puis, Il est venu se placer face à ma mère… »
L'auteur
Professeure de documentation et de bibliographie à l’Université de Pristina (Kosovo), Sevdije Ahmeti milite depuis 1987 pour les droits des femmes et des enfants. Elle a souvent justifié son engagement par une révolte contre la propagande serbe qui, dans les années 1980 en Yougoslavie, ciblait les femmes albanaises, surnommées « les machines à laver ». A la tête de la section culturelle du syndicat, elle a convié la population de Pristina à constater que ces femmes ne sont pas des « machines à laver » mais des personnes sensibles, éduquées et souvent diplômées.
Parmi les autres actions de Sevdije Ahmeti : l’opposition au changement de la Constitution définissant des catégories différentes dans la population, ou encore le soutien aux mineurs de Trepca (au cœur du Kosovo) pendant la longue grève commencée en novembre 1988.
En 2001, parait, en version française, « Journal d’une femme du Kosovo (février 1998- mars 1999) ». Dans ce texte, elle a rassemblé les témoignages terribles, collectés durant toute cette période, notamment dans la Drenica, la région la plus touchée par la guerre. Ce livre a été transmis au Tribunal pénal international à La Haye pour élaborer des actes d'accusation contre les organisateurs de l'épuration ethnique au Kosovo. Ce même livre, adapté pour la scène, a donné « Je ne suis pas une arme de guerre » présenté à Balkan T, au Théâtre de Namur (Belgique), au Théâtre national de Tirana (Albanie) puis à celui de Pristina (Kosovo), avant les représentations parisiennes durant cet hiver 2017-2018.
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