HEDDA
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Thème
- Avec Hedda Gabler, il s’agissait pour le dramaturge norvégien de dénoncer une société bourgeoise et patriarcale, en mettant en avant une tranche de vie et le destin funeste d’une jeune femme qui, prenant conscience de la triste condition féminine, cherche par tous les moyens à s’en échapper.
- Hedda refuse notamment la mise en coupe réglée imposée par un mari pesant et sans charme. La promesse d’un enfant n’y changera rien, ni du reste ses tentations amoureuses. Hedda, à l’instar d’une Emma Bovary, en quête d’absolu, a le sentiment délétère d’avoir raté sa vie de femme accomplie. Ses rêves créatifs en particulier se sont envolés. Hedda brisera ses chaînes en choisissant une solution extrême et sans retour.
- Même si ces ingrédients constituent toujours la trame de cette nouvelle Hedda, son déroulé et sa mise en perspective en font une intrigue et une scénographie fort différentes, et disons-le, c’est tant mieux. Il va s’agir, comme on dit, de la “mise en abyme“ d’une pièce (le théâtre dans le théâtre) grâce à un procédé classique mais assez subtil. Hedda, c’est une succession de séquences de répétitions de la pièce originale d’Ibsen avec des personnages contemporains. Par la magie de l’interprétation et de la mise en scène, la vraie vie et les sentiments des interprètes viennent s’intercaler avec la psychologie “dramatique“ des personnages d’Ibsen.
- C’est bien le cas d’Hedda Gabler, alias Louise Bernier, toutes deux enceintes. C’est aussi le cas du père de Laure, le général complice, incroyable de densité et de présence, et qui travaille sans relâche à une sonatine destinée à la pièce (émotion garantie). Vient aussi en surimpression un personnage central dans cette mise en abyme, celui de Laure, une création contemporaine, la metteuse en scène qui joue avec ses personnages, les fait et les défait à son gré (Louise/ Hedda sera débarquée de l’équipe dans une séquence bouleversante), obsédée jusqu’à la folie par la mort dans des conditions obscures de sa sœur Esther, dont l’interprète d’Hedda elle-même est dramatiquement le portrait.
- Mais Hedda fait aussi son cinéma, du moins pour la mise en scène ! En effet, tout ce qui se passe en coulisses (loge, cuisine ou couloirs), conciliabules, confrontations, confidences, est filmé caméra à l’épaule avec un réalisme sans concession et projeté sur deux écrans vidéo, fixe et mobile, avec certains gros plans de visages bouleversants, et ce simultanément au déroulement live de la pièce.
- Le spectateur se promène ainsi dans le théâtre constamment sollicité. La caméra est son œil vivant quitte à nous faire perdre nos repères.
Points forts
- De l’émotion, toujours de l’émotion pendant 2h45, sans faille !
- Des personnages tranchés, attachants et souffrants, parfois ridicules, toujours décalés. Ce conflit permanent entre romantisme et réalisme, incarnés dans le caractère polymorphe de la belle et malheureuse Hedda ou dans celui, fantasque d’Eilert Lovborg, écrivain déprimé et alcoolique, passion inassouvie d’Hedda dans sa prime jeunesse.
- Une mise en scène spectaculaire, à l’instar du premier tableau : la maison cloisonnée, résidence du début de la famille Tesman, s’avance vers la scène d’un seul tenant avec les personnages à l’intérieur. Symbole de la “maison de rêve“ offerte par Jorge Tesman à sa femme Hedda, croyant combler ses vœux par une attention matérielle.
- Interprétation exceptionnelle à tous les niveaux pour tous les personnages. Mentions particulières pour Laure Stijn jouée par Maud Wyler, pour son père Bram (formidable Carlo Brandt), et son petit chien (que l’on ne voit pas dans la pièce originale Hedda Gabler), pour le conseiller-juge Brack (Alexandre Trocki) et son numéro de séducteur blasé qui se livre à un odieux chantage au pistolet prêté ou volé (?), et même pour le monstre Jorge Tesman que l’on finit par plaindre.
Quelques réserves
- Perte de repères, perte de sens ou…perte de temps ? Comment faire la part des choses entre la réalité et la fiction ? Le lendemain, on se pose encore la question. Perte de temps non, mais des longueurs quand même. On peut perdre le fil. Il faudrait revoir la pièce ou la relire intégralement.
- Laure, metteuse en scène omni présente et indispensable pour cette mise en abyme fait un peu d’ombre au personnage d’Hedda rasant les murs pour camoufler sa détresse… et sa colère.
Encore un mot...
- Peut-on être une femme artiste, que faut-il perdre, que faut-il sacrifier pour vivre une vie de femme artiste ? Qu’y a-t-il à gagner au fond. ? Comment se libérer de nos modèles culturels masculins écrasants ? Comment les “déconstruire“ ? Telles sont les grandes questions philosophiques profondes que se pose Laure Stijn, à 40 ans, née d’une famille d’artistes elle-même imaginée par les auteurs d’Hedda.
- En fin de compte que nous apporte cette pseudo- fiction par rapport à la pièce d’Henrik Ibsen ? Toutes ces questions seront débattues lundi 5 juin prochain au cinéma MK2 Odéon (Paris) à 20h - sur réservation. Réunion avec la présence d’Hélène Rappat, romancière, et celle de la philosophe Geneviève Fraisse. Un sujet d’actualité donc.
Une phrase
LAURE : « Hedda Gabler c’est la femme sauvage, la parcelle de l’être que vous ne pouvez pas acheter. Vous pouvez la tuer mais vivante, vous ne pouvez pas la posséder. Hedda Gabler était peut-être une très grande pianiste Cela me tord le cœur d’imaginer ça. Avec Hedda Gabler je veux rendre hommage aux femmes réduites au silence par les hommes, par leur milieu, à toutes ces femmes dont la créativité a été étouffée dans les velours des salons bourgeois. "
L'auteur
- Henrik Ibsen, célébré en Norvège, est classé dès la fin du siècle comme un des plus fameux auteurs dramatiques au monde. Sa pièce Hedda Gabler a été écrite en 1880, et donnée en France en 1911.
- L’œuvre tout entière du dramaturge est traversée par des figures et des thèmes récurrents –l’enfermement psychologique ou matériel, le désir de liberté, l’irrésistible attraction qu’exerce la mort – et offre une chambre d’écho aux questions lancinantes que se pose cette fin de XIXe siècle.
- Aurore Fattier est une metteuse en scène et actrice française vivant en Belgique. Elle a créé en collaboration avec Sébastien Monfè, un des auteurs du texte, sa compagnie (Solarium). Aurore Fattier a plus d’une corde à son arc Elle débute la mise en scène en 2008 avec Phèdre puis, en 2014, elle adapte au théâtre La possibilité d’une île de Michel Houellebecq. Elle met ensuite en scène l’Amant d’Harold Pinter en 2015, puis Élisabeth II de Thomas Bernhardt en 2016 Elle a monté des spectacles aux Célestins de Lyon, chez Jean-Claude Carrière à Montpellier, puis à Marseille etc…
- La recherche artistique d’Aurore Fattier et de son équipe vise à cristalliser un point de jonction entre la littérature et l’esprit du temps contemporain. Elle se fixe pour tâche de réécrire la plupart des textes et de les agencer avec d’autres matériaux. Elle va ainsi adapter Othello de Shakespeare qu’elle présentera à Marseille et à Toulouse. Elle prépare un opéra pour l’Opéra royal de Wallonie.
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