Haute Surveillance

Le talent provocateur et sourcier d'un écorché vif
De
Jean Genet
Mise en scène
Cédric Gourmelon
Avec
Pierre-Louis-Callixte, Jérémie Lopez, Sébastien Pouderoux, Christophe Montenez

Durée 1h15

Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Comédie-Française: Studio Théâtre
99 rue de Rivoli
75001
Paris
01 44 58 15 15
Jusqu'au 29 octobre: Du mercredi au dimanche à 18h30

Thème

Dans cet espace carcéral que Genet connaissait si bien, au cœur d’une centrale dirigée par un caïd surnommé Boule de Neige, la confrontation de trois détenus, dont l’un, Yeux-verts, condamné à mort, sera bientôt guillotiné. Il fascine les deux autres, Lefranc et Maurice qui ne sont que des voleurs et se détestent mutuellement. 

On comprend très vite que la femme de Yeux-verts devient l’objet de la convoitise de tous. 

Lefranc qui rêve en secret d’atteindre cette étrange pureté qui habite Yeux-verts, en dépit de son crime, finira par tuer Maurice. 

Tout se passe sous le regard d’un étrange gardien lui aussi attiré par Yeux-verts, avec lequel il entretient des relations ambiguës.

Points forts

1- La pièce écrite en prison en 1942 sous le nom de «Pour la Belle», fut créée en 1949 au Théâtre des Mathurins dans la mise en scène de Jean Marchat qui aida Genet dans l’écriture, comme Louis Jouvet l’avait fait lors de la création des «Bonnes ». Marchat était persuadé du talent poétique de Genet. Lors de sa sortie, la pièce fit scandale. Remaniée plusieurs fois elle est présentée ici dans la version revue par l’auteur en 1985 et publiée en 1988.

2- Les personnages sont admirablement construits. Lefranc, le seul intellectuel des trois, écrit les lettres que Yeux-verts destine à sa femme et vit une histoire d’amour par procuration. Maurice, petit voyou à la gueule d’ange supporte difficilement cette connivence ambiguë. La femme absente devient omniprésente dans leurs fantasmes érotico meurtriers ; même le gardien y participe. Tous semblent rêver de cette femme, tatouée sur le corps de Yeux-verts. Mais qui désirent-ils vraiment, Yeux-verts ou sa femme ? On renoue ici avec l’absence pernicieuse de l’autre sexe, que déjà, dans sa première pièce, « Les Bonnes », Genet mettait en évidence. Le manque d’homme ne faisait-il pas aussi partie de leur folie meurtrière ? (Comment oublier la magistrale interprétation de Catherine Hiegel et Dominique Constanza en 1997 au Vieux-Colombier ?)

3 - L’aspect rituel du début, où un lent cérémonial nettoie la place, faisant émerger du noir profond un carré clair, net comme un ring tragique, où le combat va s’engager jusqu’au meurtre inutile. La musique est belle et donne un ton religieux qui s’intègre bien à l’étrange cérémonie qui va se dérouler.

4 – Il y a une situation dramatique intense, portée souvent au paroxysme, dans cette quête du meurtre  conduisant à une forme de sublimation, telle que l’a vécue Yeux-verts. Ce garçon si jeune et illettré conserve une vision poétique paradoxale de son meurtre. Il découvrit là, cette plénitude de se sentir enfin complet et étant à la fois homme et femme. Il en devient objet de vénération pour les deux autres, même si c’est incompréhensible de Lefranc, le plus intellectuel des trois. 

Sébastien Pouderoux incarne Yeux-verts avec conviction et émotion. Il parvient à nous faire vivre la vraie situation dramatique de la pièce ; il a des élans tragiques et poétiques très émouvants qui font que soudain on peut y croire. Ce qui est l’essentiel au théâtre.

Quelques réserves

1- Est-ce la volonté du metteur en scène qui n’a pas souhaité que la situation dramatique évoquée plus haut, fût partagée par les deux autres détenus ? En l’occurrence, ce texte si douloureux des deux autres détenus, bons comédiens au demeurant, la montée paroxystique qui va aller jusqu’au meurtre, est moins crédible, ce qui peut parfois donner au spectateur des sensations de froideur et de longueurs.

2- La première séquence des trois hommes dans un noir total, seulement éclairés par un faisceau étroit rasant leurs visages, est dommageable. Quand on ne voit pas, on n’entend pas non plus et il est difficile alors de savoir qui s’exprime.

Encore un mot...

La pièce est magnifique. Yeux-verts en est le piano conducteur, avec une langue riche et belle que nous ne pouvons qu’admirer. Comme  le disait, lors de la création, le critique du Parisien Libéré, le 10 mars 1949, en saluant  « cette manière que Genet avait de faire parler « les mauvais garçons » comme Racine fait parler les rois ».

Une phrase

Yeux-verts : « Oui, si je veux. Je vous ferais tourner comme des chevaux dans un manège. Comme je faisais valser les filles. Vous en doutez ? Je fais ce que je veux ici. C’est moi l’homme, oui Monsieur. Je peux me promener dans les couloirs, monter les étages, traverser les ronds-points, les cours et les préaux, c’est moi qu’on respecte. On me redoute. Je suis peut-être moins fort que Boule de Neige parce que son crime était une peu plus nécessaire que le mien. Parce qu’il a tué pour piller et pour voler, mais comme lui j’ai tué pour vivre et j’ai déjà le sourire. J’ai compris son crime. J’ai tout compris et j’ai le courage d’être tout seul. En pleine lumière. »

L'auteur

Né en 1910 à Paris, on ne connaît des débuts de sa vie que ce que Jean Genet a bien voulu en dire. Enfant de l’Assistance publique, il est placé dans une famille et sa première décennie paraît heureuse. Puis, ses attirances pour les émois masculins et les menus larcins, vont très vite le conduire en maison de correction. Engagé dans la Légion à 18 ans, il découvre l’Afrique. Déserteur en 1938 il revient à Paris et retourne en prison. C’est là qu’il écrit ses premières œuvres.

A partir de la création de ses pièces (Les Bonnes en 1947 – Haute Surveillance en 1949), il va bénéficier de l’estime et de l’amitié de nombreux intellectuels et créateurs (Sartre, Cocteau, Gallimard).

Son œuvre s’attache à l’univers des égarés de l’existence, il les observe comme des micro sociétés. C’est la qualité de sa langue, qu’il avoue travailler beaucoup, son sens du rituel et de la poésie, qui surprennent le plus et entraînent l’adhésion. 

Après le scandale de la reprise des "Paravents", en 1966, il s’éloigne de l’écriture pour se consacrer au combat politique. Il meurt en 1986. Il est enterré au Maroc.

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