Girls and boys
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Thème
Lors d’un dîner, une jeune femme qui restera innomée, raconte comment elle a rencontré son mari, vécu avec lui une de ces passions qui donnent tout son prix à une vie humaine, entamé et poursuivi une carrière brillante dans la production de films documentaires avec le soutien moral de son époux et mené une vie de famille à la fois ordinaire et heureuse jusqu’à ce que “les choses commencent à aller mal” entre eux...
Points forts
Tout conspire à faire de cette pièce, qui passe de la comédie à la tragédie sans crier gare, un très beau moment de théâtre:
- Un texte précis et nerveux (on saluera la qualité de la traduction française), d’abord extrêmement drôle (des formules à l’emporte pièce qui font mouche) puis doté d’une cruauté mécanique de rapport légal (des descriptions dignes des rapports d’autopsie).
- L’excellence de l’interprétation : Constance Dollé, seule en scène, est pétulante, brutale et vive, tranchante et intense. Sa diction parfaite, son timbre net donnent à son récit un relief d’autant plus singulier que, comme elle le dit, c’est elle qui raconte l’histoire, qui nous livre “sa version”. Sa voix dévoile progressivement et sobrement la tragédie à la faveur d’une alternance de monologues enlevés et plaisants et de dialogues simulés avec des enfants grognons ou joueurs mais de toutes façons épuisants. Très vite les saynettes révèlent, sans avoir l’air d’y toucher mais en nous touchant, l’enjeu de la pièce : la petite fille Leanne est une bâtisseuse, construisant des édifices en tous genres, tandis que son frère Danny est présenté comme un combattant, détruisant les constructions de sa soeur.
- La mise en scène sobre et maligne installe quelques spectateurs sur scène, convives muets d’un dîner qui commence comme un repas entre amis auxquels nous sommes conviés et s’achève comme une audience de justice, évolution soulignée sans lourdeur par le jeu subtil des lumières.
- Ce jeu des contrastes suscite une émotion profonde mais contenue, presque corsetée et exempte de pathos.
Quelques réserves
On peut résister à l’ambition de la pièce, considérant qu’elle aborde tant de sujets qu’elle est peut-être un peu étroite pour les contenir tous sans susciter une certaine frustration chez le spectateur.
Certains moments les plus graves, dans la 2ème partie, pèchent sans doute par didactisme et pourraient nuire à la théâtralité : on voudrait pouvoir prendre des notes et retenir les données. Curieusement, ce changement de registre ne tue pas l’émotion car il leste le récit du poids du réel. En inscrivant l’anecdote dans une réalité généralisable, il contribue au contraire à l’extraire du fait divers individuel pour la doter d’une signification universelle.
Encore un mot...
Commencée dans le rire, comme une comédie de moeurs, Girls and boys, reprise en français d’une pièce interprétée au printemps 2018 au Royal Court theater de Londres par Carey Mulligan, réserve quelques surprises de taille.
Car la noirceur qui l’enveloppe soudain invite les spectateurs piégés par le changement de tonalité à une méditation sur la condition conjugale et familiale et ses liens avec la violence et la criminalité, le deuil, le traumatisme et le souvenir, sur ce qui est en jeu quand on “fait société” et sur la manière dont les rapports entre les sexes sont vécus. Une histoire de condition humaine, en somme.
Une phrase
“On n’a pas créé la société pour les hommes, on l’a créée pour contenir les hommes.”
L'auteur
Peu connu en France, le britannique Dennis Kelly a rencontré un premier succès en co-écrivant la sitcom Pulling de BBC Three, puis le livret de Matilda the Musical sur la musique de Tim Minchin. Il a surtout créé et écrit la très originale mais aussi très controversée série Utopia pour Channel 4, ainsi que le scénario de Black Sea, le thriller de Kevin Macdonald en 2014. Avec ces oeuvres, Kelly poursuit une méditation sur la violence et les spectacles auquel elle donne lieu, sur ce que nous pouvons supporter quand il s’agit d’assister à la souffrance d’autrui.
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