En Transit
Infos & réservation
Thème
- De nos jours, dans une zone de transit d’un aéroport européen, un metteur en scène iranien se voit arrêté par la police des frontières, pour une histoire de visa expiré de quelques jours.
- Il a beau expliquer sa bonne foi et démontrer que l’erreur vient de l’ambassade, qu’il travaille depuis longtemps en Europe, rien n’y fait : la loi et l’administration sont plus fortes et le voilà contraint de rester pour une durée indéterminée dans ce non-lieu qu’est “la salle d’attente“, où errent les migrants dans l’angoisse d’être renvoyés là d’où ils se sont échappés.
- Hasard étrange, ce metteur en scène est justement en train de relire « En transit », un texte d’Anna Seghers écrit en 1943, et qu’il veut adapter au théâtre. Ce texte traite de l’exil et du sort des réfugiés pendant la Seconde Guerre mondiale, au travers du parcours d’un jeune homme tentant de fuir Marseille, en usurpant l’identité d’un de ses compatriotes suicidés.
- Voilà que les temporalités se brouillent et que les personnages du port de Marseille en 1941 se mêlent à ceux de l’aéroport de Munich en 2018, dans un tournoiement administratif kafkaïen. Hier on fuyait l’Europe, aujourd’hui on veut la rejoindre.
Points forts
- Le texte d’Anna Seghers mérite notre attention.
- Le fait d’avoir donné les rôles à quatre femmes, qui jouent à la fois des hommes et des femmes, sans se travestir, est une belle idée qui fonctionne.
- Certaines des comédiennes polyglottes (elles passent de l’anglais au français, au farsi et même quelques bribes de portugais…) sont étonnantes.
Quelques réserves
- On comprend l’idée du metteur en scène d’avoir voulu restituer au plateau l’esthétique froide et impersonnelle des aéroports, et de jouer avec les caméras qui filment en temps réel les personnages pour les désincarner et donner l’impression d’être à la fois partout et nulle part… les tons sont gris ou blanc, les interprètes dialoguent par box interposés, derrière des vitres ou des caméras, un écran géant au fond du plateau nous montre les visages plus ou moins flous des personnages, le son est légèrement désynchronisé - on se demande si c’est un effet de style ou une simple erreur technique- la bande sonore est sourde et métallique comme pour renforcer ce sentiment d’angoisse et d’oppression face à une machinerie kafkaïenne où l’individu est réduit à néant.
- Oui, on comprend l’idée, mais le résultat ne fonctionne pas : il règne sur le plateau une grande confusion, l’on peine à suivre les différents récits. A force de froideur et de mise à distance due aux caméras, aucune empathie n’est possible, et l’on perd l’essentiel du propos.
- On aurait aimé plus de simplicité pour arriver à capter la singularité de chacun de ces destins brisés.
Encore un mot...
- Ce spectacle est né d’une étrange histoire de hasards que le metteur en scène Amir Reza Koohestani a vécu en 2018, alors qu’il se rendait au Chili pour le travail. Il est arrêté à l’aéroport de Munich pour une histoire de visa, à priori sans importance, mais qui va prendre une tournure forcément traumatique puisqu’il sera retenu quasiment 18 heures dans cette "salle d’attente", privé de son passeport et même de son crayon à papier, jugé trop pointu et donc dangereux, avant d’être finalement renvoyé chez lui en Iran.
- L’expérience est désagréable et humiliante, mais l’artiste sait bien qu’elle n’est pas comparable avec celles que vivent les autres individus qui errent à ses côtés dans ce no man’s land. Il dira : « Ce monde du transit est un monde entre deux mondes en quelques sorte…les gens sont réduits à l’état de morts-vivants ». Mais l’expérience est surtout étonnante car à ce moment précis le metteur en scène travaille sur l’adaptation du roman d’Anna Seghers intitulé Transit.
- Cette coïncidence le pousse à mêler sa propre expérience au récit écrit en 1943, afin de dénoncer un système. Malheureusement le message ne nous parvient pas clairement et nous laisse une impression de vide.
Une phrase
« Vous connaissez vous-même la France non occupée de l’automne 1940 : les gares et les asiles, et même les places et les églises, tout était plein de réfugiés du Nord, de la zone occupée à la zone interdite, et d’Alsace et de Lorraine, et de Moselle. Débris de ces hordes pitoyables qui déjà, lors de ma fuite vers Paris, ne m’étaient plus apparus que comme débris. (…)
Une infatigable cohorte de fonctionnaires rôdait jour et nuit par voies et par chemins, comme des racoleurs de la fourrière, pour happer parmi la horde en marche des gens suspects, pour les enfermer dans les prisons de la ville, d’où on les trainait dans un camp si leur rançon n’était pas là, ou quelque juriste roublard, disposé à partager quelque fois avec le racoleur de la fourrière la récompense démesurée qui lui valait cette libération. C’est pourquoi les gens, et surtout les étrangers, s’inquiétaient de leurs papiers et de leurs passeports comme du salut de leur âme. Je m’étonnais fort que les autorités, au milieu de la débâcle totale, pussent inventer des procédures toujours plus enchevêtrées pour classer, enregistrer, estampiller les hommes sur les sentiments desquels elles avaient perdu tout pouvoir. »
L'auteur
- Originaire de Shiraz en Iran, Amir Reza Koohestani développe un goût précoce pour l’écriture. Ses premières nouvelles sont publiées dans les journaux de sa ville alors qu’il n’a que 16 ans. Après avoir été formé au cinéma, puis au théâtre au sein du Mehr Theatre group, il se dédie pleinement à l’écriture dramatique.
- La solitude des personnages et la réclusion des figures féminines y sont des motifs récurrents, traités dans un style dépouillé et noble, traversés de clin d’œil à la symbolique iranienne
- Malgré son hyperactivité sur les territoires allemands et français depuis 2006, l’auteur et metteur en scène vit au moins six mois par an en Iran, où il est très apprécié et où il poursuit son travail critique, dénonçant à la fois les travers de la mondialisation et les « maux de la société iranienne. »
Ajouter un commentaire