ELECTRE-ORESTE
Percussions Trio Xenakis.
Dans une programmation parfois chaotique, les deux pièces d'Euripide viennent heureusement mettre en valeur le très bon travail effectué, le plus souvent, par la Comédie-Française.
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Thème
Deux tragédies, « Electre » et « Oreste », sont ici rassemblées pour conter l'une parmi les plus célèbres histoires de familles grecques frappées par la vengeance des Dieux et souvent poussées à des crimes terribles.
Electre et Oreste sont les enfants d'Agamemnon, héritiers de la fatale lignée des Atrides. Leur père fut tué par Egisthe, l'amant de leur mère Clytemnestre, à son retour de la Guerre de Troie. Euripide, est, après Eschyle et Sophocle, le 3ème à traiter le sujet ; il situe l'action quelques années plus tard, tandis qu' Electre a été mariée à un laboureur et ne rêve que de venger son père, en attendant le retour de son frère Oreste. Ce dernier revient, flanqué de son ami Pylade, et découvre avec horreur comment sa sœur est traitée. Poussé par l'oracle d'Apollon, il est bien décidé à venger son père et à tuer Egisthe. Le meurtre est donc organisé ; il sera sauvage. Electre incite ensuite son frère à tuer leur mère. Oreste va donc, en dépit de ses doutes, exécuter cette dernière.
Dans « Oreste », les deux accusés attendent la décision du peuple d'Argos. L'arrivée de leur oncle Ménélas, leur fait reprendre espoir. Mais ce dernier est lâche et les abandonne. C'est Pylade, l'ami fidèle (Loïc Corbery), qui redonne à Oreste l'envie d'aller plus loin et de continuer à se battre.
Points forts
- Après son triomphe des "Damnés", Ivo van Hove a choisi le plus novateur parmi le trio des grands auteurs tragiques grecs, voire le plus subversif déjà à l'époque : Euripide, né l'année de la Bataille de Salamine, fut un peu "boudé" par les athéniens, recueillant moins la faveur d'un public qui lui préférait Eschyle et Sophocle. Pourtant, il est résolument le plus moderne des trois, le plus passionné et celui qui apporte le plus de soin à la psychologie de ses personnages ; lesquels, plus nombreux que chez ses grands aînés, ont une vraie gestuelle, sont vêtus de costumes normaux et non plus des tuniques matelassées et hiératiques des débuts de la Tragédie. Le choix des costumes bleus pour dissocier les castes est ici judicieux.
- Le metteur en scène a choisi un décor de terre boueuse et une sorte de casemate qui devient chaque lieu clos convenu. La violence, omniprésente dans ces tragédies, est encore plus intense chez Euripide, qui construit de vrais personnages, avec une psychologie, des réactions, une énergie dévastatrice, même s'ils sont aussi manipulés par les Dieux.
- Suliane Brahim, fragile et frêle Electre, a un physique de garçonnet et déploie une force qui entraîne son frère Oreste (Christophe Montenez), plus réticent face à l'horreur du matricide, à tuer aussi leur mère qu'elle attire vers sa maison sous un faux prétexte. Sa détestation pour sa mère, se fragilise lors d'un moment beau et émouvant où elle retrouve, dans les bras de Clytemnestre (Elsa Lepoivre, digne et touchante), un instant de son enfance, en se lovant contre le sein de celle dont elle organise l'assassinat. Le chœur certes horrifié par la manière sanguinaire dont elle avait traîné auparavant le cadavre d'Egisthe, allant jusqu'à l'émasculer sur la scène, était néanmoins demeuré compréhensif face à la volonté d'Apollon de voir des enfants venger leur père. Mais, le matricide les affole. Oreste poursuivi par les Erinyes vengeresses, va sombrer dans le désespoir.
- Le metteur en scène choisit de couper de longs passages du début de « l'Oreste » d'Euripide écrit en 408 avant Jésus-Christ, pour faire commencer l'action en l'instant où le frère et la sœur, attendent terrifiés leur jugement qui risque d'être la mort par lapidation. Cette deuxième partie, toujours violente va cependant développer plus avant la réflexion de l'auteur sur la Loi, si essentielle à Athènes. Il faut citer ici Didier Sandre, particulièrement convainquant dans la sage force impitoyable de Tyndare ( père de Clytemnestre et d'Hélène)
- Les acteurs et actrices, qui jouent dans des conditions physiques difficiles, pataugeant dans la boue tout au long du spectacle, sont remarquables d'intensité. Les ballets, à l'image de la sauvagerie du propos, sont magnifiquement rythmés par les percussions du trio Xenaquis, parvenant à des formes de transes qui existaient bien dans la célébration du Dieu Dionysos. Il ne faut pas oublier qu' à l'époque, le Théâtre était une cérémonie essentiellement cultuelle. Le metteur en scène laisse aller très loin la violence du texte, car c'était là le but de la tragédie : La Catharsis (au sens propre ; vomir). Il faut montrer au peuple toutes ces horreurs pour parvenir à l'en dissuader.
- En dépit de ce bruit, de cette fureur, on entend le texte à merveille. Pas seulement grâce aux micros, mais par sa densité et la qualité de son adaptation. On perçoit exactement ce qu'a voulu signifier Euripide en ces temps de construction démocratique d'un peuple, au Vème siècle avant Jésus-Christ.
- Certains personnages secondaires laissent à entendre des idées particulièrement fortes sur les valeurs fondamentales, sur la politique, sur la Loi et sur la Justice. En ce sens le metteur en scène a véritablement laissé la parole à Euripide
- Les Dieux ne sont jamais loin. Chez Euripide, ils sont regardés avec moins de frayeur mais une sorte d'humour avant la lettre. Le Dieu Apollon, vêtu d'une robe dorée comme le soleil, viendra, à la fin, apaiser la danse barbare de la vengeance des protagonistes en leur expliquant qu'ils sont pardonnés et que l'harmonie devra revenir, après un exil d'une année qu'il prévoit pour Oreste.
Quelques réserves
- Peut-être, un peu trop de boue ; mais il est vrai que dans les temps anciens, le chœur se déployait sur du sable.
Encore un mot...
Le spectacle est d'une intensité énorme. Le metteur en scène a voulu tout montrer, alors que les auteurs grecs - comme les tragiques français après eux - ne faisaient que raconter les horreurs qui s'étaient passées ou était en train de se dérouler. Là, il y a de la boue et beaucoup de sang ; mais ce spectacle est paradoxalement d'une étrange beauté.
Certes, notre époque est violente et l'image de la barbarie est partout. On peut comprendre l'envie d'un metteur en scène de 2019 de montrer combien cette radicalisation moderne de la violence et tous ces tumultes qui nous ébranlent dans nos certitudes, plongeraient loin leurs racines dans l'histoire de notre pauvre humanité, jusqu'à la sublime universalité du miracle grec !
Cela serait-il alors capable de sortir notre monde de son propre cauchemar ? Je l'espère.
Une phrase
Oreste : « ...J'ai trouvé l'indulgence dans l'esprit des gens opulents, et de la grandeur d'âme dans le corps d'un pauvre. Mais alors, quel signe pour distinguer les bons et les mauvais ? La richesse serait un bien mauvais critère. Le dénuement ? Mais la pauvreté comporte une tare, car le besoin pour l'homme est l'école du mal. »
L'auteur
Euripide (480-406 avant Jésus-Christ)
On disait qu'Euripide était le plus tragique des Tragiques. Certains ont vu en lui le précurseur de l'esprit moderne.
« Mais un poète que Socrate appelait son ami, qu'Aristote mettait fort haut, qu'admirait Ménandre et pour lequel, en apprenant sa mort, Sophocle et la cité d'Athènes prirent le deuil, devait bien avoir quelque valeur... » (Goethe)
Commentaires
L'époque d'Euripide était violente aussi, et le texte d'autant plus capable de la mettre en scène qu'il la contenait davantage...
L'adaptation est si excessivement boueuse et sanglante que toute la violence des rapports humains et des phrases disparaît face à un carnaval un peu caricatural. On n'interprète pas intelligemment la violence d'un texte avec du sang, de la boue, et des micros. A moins de ne plus être capable de lire - d'écouter- correctement?
Les Anciens savaient révéler, il y a 2500 ans, la tragédie dans son sens originel: le drame de l'humanité mêlant conflits extérieurs au Conflit Intérieur qu'ils provoquent chez l'homme (genre s'entend).
Le texte fort, les brillants acteurs du Français (tous sexes confondus hormis celui jeté, sur scène, en pâture au mauvais goût de l'inutile), la salle, et peut-être le public, avaient-ils réellement besoin d'autant d'extravagance et de cris ?
Le tout reste beau et marquant.
C'est donc indéniablement la réussite de l'ensemble.
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