DOM JUAN
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Thème
• On connaît l’argument : Don Juan, jeune noble libertin, vient d’abandonner sa jeune épouse Elvire qu’il avait enlevée d’un couvent. Elle l’aime encore, mais rien n’y fait, Don Juan va de conquête en conquête, jetant son dévolu sur de jeunes paysannes naïves qui aspirent au mariage en vain et fuit les frères d’Elvire qui ont juré de la venger.
• Plus tard, il invite à dîner le fantôme d’un Commandeur qu’il tua jadis en duel. La statue du Commandeur, son père, et même Elvire, viennent le supplier de se repentir et de retrouver le droit chemin. Il décide d’accepter... ou le feint. Hypocrite jusqu’au bout il confondra même Sganarelle qui croit mordicus en la sincérité de son maître. Mais non ! Cyniquement, Don Juan repart de plus belle. La fin est plus émouvante et spectaculaire. Don Juan finira, au grand dam de Sganarelle qui pleure ses gages non honorés, par périr dans les flammes du repentir et de l’enfer.
• Nous voyons un Don Juan monolithique, réduit à sa plus simple expression, un Don Juan avec (presque) rien, que met en scène Emmanuel Daumas. Sans décor et surtout sans costumes ni affèteries. Un Don Juan si j’ose dire (im) pur et dur, droit dans ses bottes. Bref un Don Juan moderne, non daté ; ce n’est plus la pièce à grand spectacle qui a traversé les siècles.
• Au Vieux-Colombier, Don Juan est jouée sur de simples tréteaux, sur un plateau nu et surélevé légèrement, genre ring de boxe ouvert tout autour sur les quatre côtés délimités par une simple corde. De part et d’autre de deux grands côtés, les gradins et les spectateurs se font face. Les comédiens vont et viennent en accédant à la scène depuis la salle par des marches. Ils déambulent ainsi, autour et devant nous, le plus naturellement du monde. Il n’y a pas de cabine de caméristes ni de toile de fond, encore moins de rideau rouge. Les cinq acteurs évoluent ensemble, se déplacent d’un bord à l’autre de cette scène carrée. Les deux acteurs principaux, eux, ne jouent qu’un seul rôle.
• Le metteur en scène a voulu, dit-il, revenir aux sources du théâtre populaire qu’on jouait sur les places des villages ou sur le parvis des églises. Le fond de la pièce est toujours là, retrouvant l’essence du jeu. Don Juan trahit son entourage et la gent féminine, ment sans vergogne et moque la religion et ses servants. Cette pièce se résume à ceci : la course vers le plaisir d’un homme cynique et manipulateur, un jouisseur définitivement sans foi ni loi, un prédateur de l’époque.
Points forts
• Au tout début la scène célèbre du tabac, désopilante tout en frisant le grotesque. Les nonnes, surtout une, fument à grosse bouffées, complètement shootées devant un homme genre mendiant déguisé en Christ. Entrée en matière décoiffante, mise en scène préliminaire de l’obsession anticléricale de l’auteur.
• Plus important, l’interprétation légère, aérienne, de Sganarelle sans aucun doute. Il est drôle, vrai, adopte une gestuelle sans faille, dynamique, mouvante, changeante sans cesse Un rouage essentiel de la pièce.
• Très drôle aussi, le personnage de Monsieur Dimanche, le créancier de Don Juan, interprété par un Adrien Simion très convaincant dans chacun de ses multiples rôles, arborant une belle collerette blanche et chaussé de santiags. Les autres personnages sont intéressants mais dans une moindre mesure. En séducteur, le très beau Laurent Lafitte, ici parfaitement méchant et cynique, est sans ambiguïté. Dans d’autres versions de Dom Juan, on a coutume de voir un personnage plus complexe, plus torturé ou livré à des interrogations sur son avenir, sur l’au-delà, sur ses rapports avec Dieu. Ce n’est pas le cas ici. Le Don Juan du Vieux Colombier n’a aucun état d’âme. C’est tant mieux pour la compréhension et les enchainements.
• Éternel point fort, la langue de Molière évidemment. Elle est ici parfaitement restituée et maîtrisée avec une diction sans faille. La pièce est suivie du début à la fin sans encombres ni difficultés, peut-être trop facilement... Efficace en diable, c’est le cas de le dire.
Quelques réserves
• Des décors, point trop n’en faut. Certains, cependant, y trouveraient leur place ne serait-ce que pour occulter ce qui devrait disparaître de la scène. Or, ici, on voit hommes et femmes se changer devant nous, les cabines et studios sont en pleine lumière, les maquillages n’ont aucun secret pour nous, non plus que les perruques.
• Or tout ceci n’a guère à voir avec le déroulement de l’intrigue, et l’espace est bien trop vaste, d’un bout à l’autre d’un plateau sans aucun accident visuel. On voit tous ces personnages courir, se déplacer d’un angle à l’autre, parcourir à grand pas l’espace, discourir et changer de rôles (cinq différents pour Simion). La mise en scène est totalement neutre, l’atmosphère est froide (abyssale dirait Francis Huster à propos de la pièce) les acteurs jouent dans un immense open space où les scènes se côtoient. La modernité était-elle à ce prix ?
Encore un mot...
• Un peu d’histoire en l’occurrence, pour rappeler qu’à l’origine, Molière créa ou adapta le Festin de Pierre, comédie en cinq actes en prose, qui fut joué au théâtre du Palais-Royal en février et mars 1665 par la troupe de l’auteur et avec Molière qui interprétait le rôle de Sganarelle. Le thème de la pièce était déjà connu en Europe. Elle fut mise en scène par un certain Tiso de Molina en 1630, jouée par les comédiens italiens, cet auteur ayant inventé d’ailleurs la figure du Commandeur. Cette pièce sera jouée sous cette forme seulement quinze fois. Elle fut sous la pression du clergé pratiquement interdite par le roi Louis XIV, qui cependant a voulu transiger avec Molière en lui proposant de supprimer certaines scènes.
• Celui-ci refusant, le roi l’autorisa alors à reprendre les représentations de son Tartuffe légèrement amendé. À la mort de l’ancien Tapissier Valet du roi (une charge de proximité, précieux sésame), c’est à Thomas Corneille (frère de Pierre et juriste comme lui, néanmoins auteur dramatique) que revint l’honneur de reprendre la mise en scène de la pièce, à la demande d’Armande Béjart. La pièce, adaptée en vers fut purgée de « certaines choses qui blessaient la délicatesse » : cette version expurgée fut ensuite mise à l’affiche et remplaça totalement la pièce initiale de Molière. Elle fut jouée 567 fois dans cette version jusqu’en1847.
• Notons que l’invétéré séducteur qu’était Don Juan fut interprété par d’immenses comédiens, tels le très jeune Maurice Escande, Louis Jouvet et Jean Vilar, ou récemment par Philippe Torreton. Pour Sganarelle, il y eut Fernand Ledoux et Jacques Charon. Avec Francis Huster en Don Juan et Patrice Kerbrat, la domination rhétorique et gestuelle de Don Juan fut tempérée, le valet devenant l’alter ego du maître, son complice d’une certaine manière. C’est ce qu’il est dans cette version épurée d’Emmanuel Daumas, grâce à un Laurent Lafitte impérial et à un Stéphane Varuppen attachant. Ce traité n’eut sans doute pas déplu à Monsieur de Molière, friand des tréteaux italiens, et qui disait vouloir écrire pour les foires.
Une phrase
Sganarelle :
« Monsieur, je vous dirai franchement que je n’approuve point votre méthode et que je trouve fort vilain d’aimer de tous côtés comme vous faites. »
Don Juan :
« J’ai beau être engagé, l’amour que j’ai pour une belle n’engage point mon âme à faire injustice aux autres ; je conserve des yeux pour voir le mérite de toutes et rends à chacune les hommages et les tributs où la nature nous oblige. »
L'auteur
• Tout a été dit ou presque sur Molière, né Jean-Baptiste Poquelin (1622-1673). Acteur et dramaturge favori du “Roi soleil“. Héritier d’une charge à la cour, rival un temps de Lully, prenant pour cible gentilshommes, dames superficielles et faux dévots, il fut en butte aux interdits et autres cabales de l’Église et de la bien-pensance de l’époque.
• Son Dom Juan, pièce de circonstance, vient s’intercaler entre deux versions du célèbre Tartuffe. Auparavant, la cour avait déjà beaucoup ri aux Fourberies de Scapin, aux rodomontades du Bourgeois Gentilhomme et aux simagrées des Précieuses Ridicules. C’est la quatrième représentation du Malade Imaginaire qui aura raison de la vie (dans son lit et pas sur scène) du grand directeur des divertissements à Versailles.
• Un mot sur Emmanuel Daumas, principal responsable de ce dénuement, à l’incitation d’Éric Ruf, administrateur général de l’illustre Théâtre. Il assume l’abandon de « la pièce à machines, des toiles peintes somptueuses, des scorpions et serpents et de la chute finale dans les abîmes du feu ». Daumas a « compagnonné avec la troupe (du Français) depuis 10 ans et y a gagné de joyeux galons de directeur d’acteurs… » (É. Ruf) Il débute comme acteur après sa formation à l’Ensatt Depuis 1999, Daumas fait preuve, en tant que metteur en scène, d’un certain éclectisme : Les femmes savantes, l’Ile des esclaves de Marivaux, l’Échange de Paul Claudel, mais aussi La Tour de la Défense de Copi ou l’Ignorant et le fou de Thomas Bernhard et même du Gainsbourg.
• Il a monté quatre pièces (de Marguerite Duras, Voltaire, Marivaux et Molière) au Français en dix ans.
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