Dom Juan
Même si je ne suis pas d'accord, donc, avec le parti-pris final de Jean-Pierre Vincent.
Allez-y, ne serait-ce que pour découvrir Serge Bagdassarian en Sganarelle.
A lui seul, je le répète, il vaut le détour. Du grand théâtre.
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Thème
Entre Jean-Pierre Vincent et la Comédie-Française, c'est une variation créative sur le thème du "revenez-y". Administrateur de la Grande Maison, de 1982 à 1986, c'est la quatrième fois qu'il y revient depuis, pour monter un spectacle.
Cette fois, c'est le "Dom Juan" de Molière, pièce au destin curieux puisqu'elle ne connut qu'une quinzaine de représentations, triomphales, à sa création, en 1665, et ne fut jamais rejoué du vivant de Molière, dont il n'est pas exclus qu'il ait choisi, par cette abstention, de ménager le Roi, sensible à la cabale que cette pièce avait suscitée.
Points forts
Je soulignerai, essentiellement et arbitrairement, quatre points à propos de cette pièce, à bien des égards "déjantée":
1 En premier lieu, le style, dont on oublie parfois qu'il est souvent superbe chez Molière. Ce texte en prose a, même si les développements sont parfois trop longs, des grâces de poésie.
2 En second lieu,la vision très originale de la séduction, exprimée à travers "Dom Juan", et ramenée à une démonologie du pouvoir.
Dom Juan est beaucoup plus un "tombeur" comme on dirait aujourd'hui qu'un séducteur hédoniste : il "tombe" les femmes, au sens littéral du terme. Ce qui se passe lorsqu'elles sont "allongées" n'est qu'accessoire. Dom Juan, ce n'est pas la métaphysique du sexe, joyeuse et exubérante, de Casanova et d'Henry Miller. Avec Dom Juan, on est vraiment dans le travestissement malsain de la séduction, du sexe et de l'amour, comme on peut l'être le plus souvent avec Sade, et souvent avec Laclos.
3 En troisième lieu, ce sont deux pages de l'Acte 4, Scène 4, où, à travers l'admonestation de Dom Louis à son fils, Molière exprime sa réflexion sur l'aristocratie : dérives, défense et illustration. Ce court texte est, sans doute, l'un des plus beaux textes écrits depuis Saint-Louis et le Roi Arthur sur la dignité de service et d'honneur de la qualité de gentilhomme. Qualité qui s'est en partie diluée dès la Renaissance dans l'état de courtisan, état que Louis XIV abaissera parfois à celui de laquais, dans les antichambres de Versailles. Evolution qui trouvera, logiquement, sa sanction avec la Révolution française et que Chateaubriand a si excellemment résumée, en une phrase lapidaire du Livre 1°, Chapitre 1, des "MEMOIRES D'OUTRE-TOMBE" : "lL'aristocratie a trois âges successifs : l'âge des supériorités, l'âge des privilèges, l'âge des vanités : sortie du premier, elle dégénère dans le second et s'éteint dans le dernier".
4 J'ajouterai, en dernier lieu, les deux pépites de cette version :
- un décor exceptionnel de créativité et de beauté.
- le jeu, tout en subtilité et en finesse, de Serge Bagdassarian, dans le rôle de Sganarelle, échappant au piège de la farce et, pourtant, étonnamment expressif. Oui, vraiment, un très grand Sganarelle. Le public ne s'y trompe pas.
Quelques réserves
Avec le temps, cette pièce débridée se révèle -pourquoi ne pas le dire- inégale :
1 C'est une pièce à thèse et on est parfois, dans la deuxième partie, plus à la tribune ou en chaire qu'au théâtre. Ca reste passionnant, pour ceux qui s'intéresse aux idées, mais ce n'est pas, dans ces moments-là, un modèle de construction théâtrale. Et le rythme s'en ressent. Certaines tirades sont pesantes. Et certains dialogues un peu longs; celui des frères d'Elvire, par exemple.
De ce point de vue, Goldoni est presque aérien par rapport à ce Molière-là...
2 Mais ce qui me semble, surtout, avoir vieilli, parce que très datée, c'est la manière choisie par Molière pour s'en prendre indirectement à la Contre-Réforme catholique, très en verve au temps de la jeunesse de Louis XIV; c'est le défi permanent de Dom Juan à Dieu, et la fantasmagorie autour de la Statue du Commandeur.
D'ailleurs, Jean-Pierre Vincent ne doit pas être loin de partager mon avis- mais pour d'autres raisons...-, puisqu'il s'est autorisé une modification très audacieuse et, à mon sens, bien hasardeuse, de la scène finale : au lieu de s'abîmer dans le Terre et d'être la proie des flammes, là il s'en sort physiquement indemne...
Encore un mot...
On comprend qu'ayant en tête sa captation finale d'héritage, Jean-Pierre Vincent insiste plus sur le côté roué, provocateur et contestataire de Dom Juan que sur son côté tragique. Et que tout naturellement, dans le tandem Dom Juan-Sganarelle, le serviteur en vienne presqu'à prendre la place du maître, indépendamment de la performance même de Serge Bagdassarian.
Personnellement, je me suis souvenu avec nostalgie, de la performance de Philippe Torreton, il y a quelques années, nous livrant un tout autre Dom Juan, infiniment tragique, explorant au plus amer les méandres d'une liberté fourvoyée.
Ceci étant, si on accepte que le "DOM JUAN" de Molière soit désacralisé, au sens étymologique du terme, la version de Jean-Pierre Vincent constitue un bon spectacle.
Commentaires
Sganarelle tres bon auteur mais pour le reste tres chiant et penible
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