
DOLOROSA. Variation contemporaine des Trois Sœurs d’Anton Tchekhov
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Thème
Les thèmes chers à Tchekhov sont bien présents, mais transposés à notre époque : le passage du temps, les rêves inassouvis, le travail subi ou évité, l’immobilité, l’ennui, les amours contrariés et bien sûr la représentation des trois sœurs. En l’occurrence la plus âgée, Olga sorte de chef de famille, la seule qui travaille (elle est professeure), la cadette, Macha, assez insupportable et toujours frustrée, Irina, personnage central, l’intellectuelle du trio.
Les trois actes se déroulent dans une grande villa de famille, dans un état décrépi, mais les jeunes femmes y sont très attachées. Ici, les personnages évoluent dans une société contemporaine, dans une ambiance électrique et un climat délétère : on s’aime et on se déchire tout à la fois. Olga, sage et belle, feint de s’en être sortie, en tout cas, elle s’en satisfait. Macha est mariée mais l’homme a disparu, le frère est un artiste contrarié, employé de mairie excentrique et truculent, mais il n’est pas heureux. Irina veut s’en sortir mais n’y arrive pas. Elle fête son anniversaire trois années de suite, 28, 29, 30 ans, sans avancer, comme le temps.
L’alcool coule à flot pour tout le monde et fait son œuvre. Un homme passe, s’arrête ... et puis s’en va. Soudain, Janine, enceinte et dernière arrivée, prie Olga de quitter sa grande chambre pour descendre au sous-sol, froid et humide. C’est surtout cruel et nous, on est tristes. Même les anniversaires d’Irina sont ratés lamentablement, malgré force bières, champagne et bouquets de fleurs. Décidément on n’arrive pas à être heureux à la Villa Dolorosa. D’ailleurs Macha se désole : « Le bonheur, le bonheur, peut être que l’homme n’est pas doué pour le bonheur ! »
Points forts
Au fil du temps… brillante idée que ces trois anniversaires ratés successifs d’Irina, ces trois années de plus qui s’accumulent dramatiquement pour les uns et pour les autres et s’étirent inexorablement. L’ennui s’installe progressivement (mais pas le nôtre) jusqu’à la rupture pendant que les caractères et les psychologies subissent les outrages du temps. Irrémédiable gâchis !
"L'âme russe“ éternelle transpire à chaque réplique, mais on atteint le paroxysme du drame chez une Olga pathétique et chez une Irina transfigurée et réfugiée dans son lit et une chambre immense.
L’humour de l’autrice allemande, qui met son grain de sel tout au long de la pièce. Dès le premier acte, on déambule dans une galerie d’art contemporaine où des morses et lions de mer qui s’étalent sur les murs font des clins d’œil aux spectateurs ! Ce changement de registre est bienvenu pour détendre l’atmosphère, on est proche du vaudeville.
Le jeu décontracté et convaincant - parce que froidement désespéré - de Marie-Sophie Ferdane, interprétant une Olga magnifique dans son plus simple appareil comme dans une robe très haute couture. L’énergie déployée par Rodolphe Congé qui joue Andreï, le frère déboussolé.
Quelques réserves
Quelques scènes incompréhensibles :
ainsi cette séquence dans ce qui parait être une immense chambre où s’est livrée apparemment une gigantesque et interminable bataille de polochons jusques y compris le ramassage des oreillers et édredons dans une énorme poubelle à roulettes. Ce champ de bataille n’a d’égal que le champ de ruines de ces lamentables relations familiales ;
ou encore le frère, Andreï, qui traverse la scène en courant (lentement) intégralement nu…
Le personnage de Janine, très décalé, relève d’un univers faussement contemporain décidément moins à sa place dans l’univers de Tchekhov
Au total, on cherche désespérément nous aussi l’intérêt de voir une copie plutôt que l’original quand il s’agit de peindre les tourments qui agitent les âmes en perdition. Il manque la flamme qui se consume de l’intérieur et qui habite régulièrement tous les vrais personnages d’Anton Tchekhov.
Encore un mot...
Ici, l’irrévérence et l’humour à la berlinoise l’emportent sur le romantisme et les turbulences de “l’âme russe“. Au bénéfice du rythme, sans doute, mais au détriment de l’émotion certainement. • D’ailleurs il semble que l’autrice, Madame Rebekka Kricheldorf, remporte un beau succès dans son pays. On ne s’étonnera pas alors du patronyme dont l’auteure-adaptatrice affuble la famille (Freudenbach).
Nous nous contenterons, quant à nous, de remarquer que la brillante Marie-Sophie Ferdane qui joue le rôle d’Olga, l’éternelle célibataire, a décidément tout pour elle (Normale Sup moderne, agrégée de Lettres, chevalier des arts et des lettres)… Elle joue (et bien) du violon. What else ? Ah oui, elle est la dernière d’une fratrie de trois sœurs !
Une phrase
- Irina [démotivée] « D’ici à deux cents, trois cents ans, la vie sur terre sera incroyablement belle, éblouissante […]. Un temps viendra où tout le monde comprendra à quoi ça sert tout ça mais pour l’instant il faut vivre. »
L'auteur
Rebekka Kricheldorf est née à Fribourg-en-Brisgau (dans le sud-ouest de l’Allemagne) en 1974. Extase et Quotidien est la première pièce commandée par le Deutsches Theater de Berlin, et qui lui a valu d’ailleurs une nomination pour le Prix du Théâtre de Mülheim (2014), suivie d’une nomination pour Homo Empathicus.
Dolorosa sera présentée dans ce même théâtre en 2009, de même que Testostérone en 2013. En Allemagne. Rebekka Kricheldorf est reconnue comme une des dramaturges les plus talentueuses de son époque. Elle a écrit une trentaine de pièces explorant la manière dont les classiques du répertoire occidental, ou encore le matériau ancestral des contes et des mythes trouvent un écho dans notre monde moderne, tout en renouvelant le genre de la comédie allemande.
Elle a reçu d’ailleurs de nombreux prix notamment pour Princesse Nicoletta, La Ballade du tueur de conifères, Feues les mains de Robert Redford, etc…
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