Déjeuner chez Wittgenstein
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Thème
A Vienne, en Autriche, dans une salle à manger bourgeoise aux murs couverts de portraits de famille, deux sœurs préparent le retour de leur frère Ludwig. Les deux femmes sont actrices et «jouent» quand cela leur plait, la famille étant propriétaire d’un théâtre à Vienne. Quant au frère, il est «philosophe», interné dans un hôpital psychiatrique. Dans cette atmosphère de désoeuvrement et d’ennui, autour du repas dominical, les trois personnages vont prendre plaisir à déballer leurs rancoeurs, donnant lieu à des affrontements sur tous les sujets : leurs relations réciproques, la famille («la parenté signifie la mort», affirme Ludwig), l’art contemporain et le « faux» mécénat, l’incompétence des médecins et jusqu’aux profiteroles, amoureusement préparés pour le frère par la sœur aînée… Il semble que seule la musique parvienne à les réconcilier, malgré quelques désaccords encore !
On assiste à un processus de destruction, cher à Thomas Bernhard : destruction méticuleuse du passé et de tout ce qui s’apparente à l’ordre établi. Mais aussi auto-destruction des personnages eux-mêmes, chacun se réfugiant inconsciemment dans sa propre folie pour échapper à la question du «sens de l’existence». C’est ainsi que Ludwig aime son hôpital où il peut faire «tout ce qu’il veut».
Points forts
- La montée en puissance de la haine est admirablement exprimée par le texte, bien sûr, mais aussi par la mise en scène d’Agathe Alexis : légères touches successives, hypocrisie des relations, petites piques subtiles contrebalancées par de soudains élans de tendresse ou par des fous-rires… Le spectateur est constamment surpris par cette inconstance des personnalités où génie et dérision se confondent.
- L’humour est toujours présent, un humour noir et grinçant qui s’applique pourtant à notre société contemporaine.
- Un hommage spécial aux trois comédiens : tout est juste, aucune outrance mais une présence qui nous tient en haleine, notamment celle d’Agathe Alexis, dans le rôle de la sœur cadette. Et quel plaisir que cette élocution parfaite qui n’a rien à envier à celle des sociétaires de la Comédie Française !
- Une ambiance « habitée » dans ce tout petit théâtre, autrefois local de répétition, aujourd’hui investi par Alain Alexis Barsacq qui y accueille plusieurs troupes de théâtre, dont celle d’Agathe Alexis.
Quelques réserves
Le spectacle dure 2h15 … c’est un peu long. On ne s’endort pas, loin de là, mais les dialogues de la fin sont un peu redondants par rapport à tout ce que l’on a déjà compris. Certaines scènes auraient pu être introduites plus tôt dans le déroulement de la pièce… mais cela s’appellerait une adaptation et Thomas Bernhard se retournerait dans sa tombe!
Encore un mot...
Courez-y, voilà du vrai théâtre, servi par des acteurs hors pair qui ont le souci rare de respecter la forme et le fond sans aucune prétention, ce qui n’est pas toujours le cas au théâtre aujourd’hui.
Une phrase
Qui seront deux:
- «Ce n’est que lorsque nous sommes malades que nous sommes heureux» (Ludwig).
- Ritter, la sœur cadette, lit son journal où il est question de « réalisation de soi », et s’exclame : «Cela ne veut rien dire, la réalisation de soi, il n’y a rien de plus répugnant que la réalisation de soi». Quel visionnaire, ce Thomas Bernhard ! Ceci, évidemment, n'engage que moi...
L'auteur
Poète dans sa jeunesse, puis dramaturge et romancier, Thomas Bernhard (1931-1989) est sans doute l’écrivain autrichien le plus important de sa génération et l’un des plus grands écrivains de langue allemande, traduit en plus de 40 langues. Il connaît son premier succès littéraire avec la publication de son roman, "Gel", en 1963. Misanthrope et provocateur, il exprimera tout au long de son œuvre sa rage anticonformiste en prenant systématiquement le contre-pied de ce qu’on attend de lui, quitte à se dédire...
Refusant toute sa vie les honneurs de l’establishment autrichien pour lequel il nourrit une véritable exécration, il provoquera moult scandales en mettant en cause l’Etat autrichien et la culture autrichienne marqués par le national-socialisme et le catholicisme. On pourrait dire que l’œuvre littéraire et dramaturgique de Thomas Bernhard est un règlement de comptes avec sa jeunesse et avec son pays mais aussi par rapport à l’ordre établi, quel qu’il soit et où qu’il soit… N’oublions pas que, dans son testament, Thomas Bernhard a défendu expressément « toute représentation, impression, présentation, à l’intérieur des frontières de l’Etat autrichien » d’aucun de ses textes publiés ou posthumes. Quant aux traductions, il les considérait comme des trahisons. Heureusement pour nous, ses ayants droit ont enfreint la règle, nous donnant ainsi à profiter de son œuvre, remarquable dans sa profondeur et dans son écriture.
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