Coriolan
La force tragique du politique
De
William Shakespeare
Récital de chanson
Traduction : Jean-Michel Déprats
Traduction : Jean-Michel Déprats
Mise en scène
François Orsoni
Avec
Jean-Louis Coulloc’h, Alban Guyon, Thomas Landbo, Estelle Meyer, Pascal Tagnati
Notre recommandation
3/5
Infos & réservation
Théâtre Bastille
76, rue de la Roquette
75012
Paris
01 43 57 78 36
Jusqu’au 7 octobre 2022 à 20h, relâche les dimanches
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Thème
- S’inspirant des Vies parallèles de Plutarque, Shakespeare raconte le parcours du rejeton d'une famille patricienne, Caius Martius, dans les premières années d’une République romaine en train d’inventer ses institutions.
- Guerrier valeureux et héroïque, chanté pour sa bravoure au combat, ce qu’attestent ses nombreuses blessures, Caius Martius bientôt renommé Coriolan, manifeste un tel mépris pour la plèbe et se montre tellement incapable de feindre – avec une absence totale de sens politique - qu’il finit, après bien des tergiversations, par perdre les élections consulaires.
- •Outré par ce qu’il considère comme une trahison, il insulte les le peuple et ses tribuns et se voit condamné à l'exil. Il noue alors une alliance contre nature avec son ancien ennemi, Aufidius, général des Volsques, et se retourne contre Rome. Sa mère tente de le ramener à la raison, mais il n’a pas le temps de négocier la paix entre les deux camps, il est assassiné par ses alliés d’un jour.
Points forts
- Le texte complexe, ambigu, ironique et puissant, a été ici judicieusement raccourci. François Orsini met fort bien en lumière à quel point il chemine sur une ligne de crête, entre « apologie du peuple » et « vénération d’une forme d’élitisme politique. »
- La qualité des interprètes est notable, avec une mention spéciale à la puissante incarnation réalisée par Alban Guyon, Coriolan plein de morgue et de candeur. Il donne à ce personnage bien plus qu’un corps couturé de blessures, apportant une lumière particulière à la pureté de celui qui refuse de jouer une comédie dont, en bon représentant d’une aristocratie hautaine mais également intransigeante sur les principes et la droiture, il méprise la servilité.
Quelques réserves
- Faire de Coriolan un opéra pop éclairé par deux enseignes lumineuses au graphisme moderniste, en revêtant ses protagonistes de textile ou de cuir noir, en les faisant chanter et danser à quelques moments, en ménageant un espace aux improvisations comiques, pourquoi pas ? Ce sont des choix de mise en scène dont l’esthétique peut être discutée mais pas condamnée.
- En revanche, on peut regretter cet autre choix, qui consiste à scander la phrase de Shakespeare en la slamant presque, et plus encore l’inutilité des micros. Tout ceci perturbe l’audition autant que les hurlements continus de protagonistes à qui un peu plus de glace aurait pu donner encore plus de férocité.
Encore un mot...
- Donnée en 1934 à la Comédie française, la pièce provoqua une véritable émeute. Elle fut instantanément perçue comme un pamphlet antidémocratique, tant le mépris de Coriolan pour la plèbe, cette « inconstante » et « puante multitude » et le suffrage populaire est intense. Tandis que certains entendaient dans cette tragédie un plaidoyer en faveur du régime aristocratique, opposé aux turpitudes d'une foule versatile manipulée par des médiocres, d’autres y voyaient la dénonciation de l’orgueil incommensurable d’un chef de guerre qui se rêve en leader politique.
- Tout concourait donc à faire de ce spectacle une scène d’affrontement politique. Le 6 février, les émeutes nationalistes reléguaient le scandale Coriolan aux ors de la salle Richelieu : la lutte était cette fois dans la rue. Mais cet épisode est un bon symptôme de la charge politique de la pièce et de sa permanente possible réactualisation.
Une phrase
- Un citoyen (acte Ier) : « Il plaît à de bonnes âmes de dire qu’il a tout fait pour la patrie : je dis, moi, qu’il l’a fait d’abord pour plaire à sa mère, et puis pour avoir le droit d’être orgueilleux outre mesure. Son orgueil est monté au niveau de sa valeur. »
- Coriolan (acte II) : « Dans ce moment même, sur ma vie, je veux le répéter. (Aux sénateurs.) — Vous, mes nobles amis, j’implore votre pardon. Mais pour cette ignoble et puante multitude, qu’elle me regarde pendant que je lui dis ses vérités, et qu’elle se reconnaisse. Oui, en la caressant, nous nourrissons contre le sénat l’ivraie de la révolte, de l’insolence et de la sédition : nous l’avons nous-mêmes cultivée, semée, propagée en la mêlant à notre ordre illustre, nous qui ne manquons pas de vertu, certes, ni de pouvoir, sinon de celui que nous avons donné à la canaille. »
L'auteur
- Écrite en 1607, Coriolan est l'une des tragédies antiques de William Shakespeare la moins connue et assez rarement représentée, pour des raisons esthétiques – le ressort dramatique en est assez faible – mais aussi politiques. Le XVIIe est le siècle de la naissance de l'Etat moderne, et il n’est pas exclu que le choix de cet épisode par Shakespeare soit en rapport avec la situation politique du début du règne de Jacques Ier.
- Le souverain affronte, dès son accession au trône, plusieurs conspirations, travaille à fonder les bases théoriques d’une monarchie absolue de droit divin et entre en conflit ouvert avec le Parlement. Ce contexte troublé invite évidemment les artistes à s’interroger sur les formes de la vie politique ...
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