Contes d’Etat
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Thème
Le spectacle commence avec un long monologue, qui évoque les titans Prométhée et Epiméthée et leur affrontement au sujet de ces humains nus pour lesquels Prométhée vole le feu et à qui les dieux hésitent à fournir une aptitude politique.
C’est la première partie consacrée à une critique en règle de l’antienne du discours automatisé sur la dette publique - « la dette publique, c’est mal » - et qui passe par l’analyse d’une émission de télévision.
Il est alors évidemment question de la prétendue “neutralité journalistique“, du désengagement de l’Etat dans les services publics, de la marchandisation du monde à laquelle se plient les politiques publiques, ce qui contribue à la destruction du social. On croise Gérald Darmanin et Pierre Moscovici, Lewis Caroll et Flaubert, des têtes en plâtre qui dialoguent avant d’être brutalement fracassées.
Dans la deuxième partie du spectacle, un homme fait le récit de l’accident qu’il a subi lors d’une manifestation de gilets jaunes, et qui lui a valu de perdre la main droite.
L’épilogue est assuré par l’avocat Raphaël Kempf, qui dispense une sorte de leçon de droit sur la punition, la vengeance, la justice et le droit de punir, bref sur la manière dont l’Etat exerce le pouvoir judiciaire.
Points forts
Les textes sont nets, précis, et portent une charge politique et émotionnelle puissante. L’attention accordée aux formules de la vie politique - « la dette publique c’est mal »- ces énoncés “naturalisés“ qui, puisque plus personne ne les interroge, deviennent des mantras est de salubrité publique.
La voix de contre-ténor de Flor Paichard, dans laquelle on sent la pratique des chants byzantin et grégorien et des musiques médiévales et Renaissance, est formidable.
L’éclairage décompose et recompose heureusement l’espace .
Quelques réserves
Ce spectacle politique et lyrique ne manque pas d’intérêt, mais ne trouve pas son rythme, entre le fracas des plâtres cassés - mais que les spectateurs essuient - et l’indécision d’une mise en scène qui ne choisit pas : ni entre les textes, ni entre les sujets, ni entre les genres.
Cela donne un ensemble composite qui souffre d’un excès de formalisme, un “assemblage“ parfois bien lourd (oui, l’Antiquité symbolisée par les bustes en plâtre, oui l’acrobate qui dit le déséquilibre des êtres dans ce monde, oui la séance de balayage…) qui ne fonctionne pas, malgré le désir évident de trouver d’autres voies de théâtralité.
L’intervention finale de Raphaël Kempf a beau être intellectuellement et politiquement percutante, elle cueille à froid des spectateurs déjà épuisés par une heure et demie d’agitation bavarde.
Encore un mot...
Ce spectacle se réclame explicitement du théâtre antique grec auquel il emprunte la forme du récitatif, celle du chant lyrique, et qu’il typifie avec les figures de plâtre, et les trois protagonistes-acteurs qui incarnent différents personnages.
- Mais comme il mêle également la performance, la leçon, le récit, le conte, la fable et l’acrobatie, cela fait beaucoup...
Une phrase
« Comment transforme-t-on la dépense publique en chiffre d’affaires privé ?
C’est tout simple : on dit qu’il faut la réduire, et de la place est faite pour le marché. Comment justifier qu’il faille la réduire ? C’est tout simple : on fait du déficit.
Comment faire du déficit ? C’est tout simple : on dit “Les Français ont un sujet
avec l’impôt“… et l’on baisse les impôts des riches. Le déficit se creuse, c’est mécanique, c’est terrible, c’est merveilleux. À force de déficits, la dette augmente : C’est Très Mal ; c’est tout à fait ce dont nous avions besoin. Désormais c’est ainsi, nous n’avons plus le choix : pour réduire la dette, il faudra réduire la dépense. C’est comme ça : il n’y a plus de recettes. »
Le ministère des contes publics, Sandra Lucbert, Verdier, 2021.« J’ai posé les yeux sur ma main et il n’y avait plus rien. Je me suis dit d’abord :
“Je n’ai plus de gant“. J’ai fait une fixation sur le gant, il se passe quelques secondes avant que je me dise qu’en fait non, ce n’est pas le gant, c’est la main qui a disparu. Pulvérisée. Plus de main. À la place, il y a une espèce d’amas de chair dégoulinant de sang.
Je voyais l’os au milieu, et des lambeaux de chair de chaque côté, comme une banane. »
Cinq mains coupées, Sophie Divry, Seuil, 2020.
L'auteur
Sandra Lucbert travaille sur le discours du capitalisme et la manière dont il valide et organise la destruction de l’ordre social, en partant d’événements de la vie publique (le procès de France Télécom, une émission de C dans l’air).
Sophie Divry a publié six ouvrages de fiction et des essais dans lesquels elle observe à la loupe le monde contemporain, les structures et les processus de domination qui le gouvernent.
A noter :
jeudi 21 mars, rencontre avec l’équipe artistique à l’issue du spectacle.
samedi 16 mars à 16h, rencontre-débat : « Les forces et les mots de l’ordre » avec le sociologue Benjamin Lemoine, auteur de La Démocratie disciplinée par la dette (La Découverte, 2022) et L’Ordre de la dette – Enquête sur les infortunes de l’État
et la prospérité du marché (La Découverte, 2016). En partenariat avec “Les Amis du Monde diplomatique“.
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