Bettencourt Boulevard, ou une histoire de France
Infos & réservation
Thème
Annoncé par le titre, le sujet de cette pièce-épopée est bien sûr « l’affaire Bettencourt», cette histoire aux allures de feuilleton aussi rocambolesque que pathétique, qui a défrayé et défraye encore, les chroniques des journaux de tous genres - même les moins prestigieux - et a fini par faire les choux gras des discussions de comptoir…
Le personnage central de la pièce est évidemment l’héroïne de «l’affaire », celle à cause de qui vont se déclencher des séïsmes de tous ordres (moral, financier, politique, affectif, etc…), Liliane Bettencourt, ici, représentée comme étrangère aux convulsions qu’elle déclenche, belle femme vieillissante, extravagante, aussi généreuse que dépensière. Autour d’elle sur le plateau, appelés par leur vrai nom, les principaux protagonistes de son «affaire », dont sa fille (Françoise Bettencourt Meyers), ses petits enfants, son majordome, son gestionnaire de fortune (Patrice de Maistre), son bouffon favori (François-Marie Banier) et ses soi-disant amis politiques (dont Nicolas Sarkozy). Ils interviendront tous, seuls ou par petits groupes pour retracer l’affaire, l’éclairer aussi, en démêler l’écheveau. Le tout, au cours d’une trentaine de tableaux aussi brefs qu’incisifs, tour à tour hilarants ou dramatiques, qui s’enchainent fluidement grâce à la présence d’un personnage totalement inventé celui-là, et qu’on pourrait qualifier de chroniqueur…
En un peu plus de deux heures, entre farce et tragédie, voilà retracée, avec clarté, humour et grande lisibilité, la fresque Bettencourt. Derrière, en filigrane, se dessine un portrait de la société française …
Points forts
- D’abord, évidemment, le texte. Michel Vinaver s’était attelé à une tâche à priori impossible: relater en donnant à le comprendre en à peine plus de deux heures, un conflit familial aux ramifications multiples. Conflit qui, commencé en 2009, n’est toujours pas réglé. Conflit dont tout le monde a entendu parler, mais que peu ont appréhendé dans toute son étendue… Le dramaturge de 87 ans s’en sort avec une maestria qui laisse admiratif ! Sa pièce est aussi impressionnante que passionnante, qui échappe par un tour d’écriture magistral au genre - plutôt bourratif - du théâtre- documentaire, même si tout ce qui y est écrit est d’une rigoureuse exactitude. Au fil de son texte, sans ponctuation mais d’une très grande musicalité, il parvient non seulement à démêler un histoire très compliquée, mais, au delà, à élever cette histoire au rang d’un mythe de notre époque. Le tout dans un langage simple, direct. Sur un ton où l’ironie le dispute à la drôlerie. Et - c’est sans doute cela le plus fort - sans que ne soit jamais porté le moindre jugement sur aucun des 17 protagonistes de l’œuvre.
- La mise en scène, qui accompagne le texte à la perfection. C’est la troisième fois que Christian Schiaretti monte une pièce de Vinaver et il en connaît donc bien l’univers. Avec son scénographe, Thibaut Welchlin - qui signe aussi les costumes- il a imaginé un espace de jeu à la fois ouvert et abstrait, dont les éléments (des carrés monochromes, descendant ou remontant des cintres) évoquent Mondrian. Idéal pour accentuer la distanciation voulue par l’auteur.
- Les comédiens, qu’il faudrait tous citer tant ils sont tous au sommet. Mention spéciale peut-être pour Francine Bergé qui incarne une Liliane Bettencourt à la fois majestueuse, insouciante et fleur bleue; pour Jérôme Deschamps, impayable en Patrice de Maistre; et Didier Flamand, qui restitue avec finesse la nonchalance à la fois charmeuse, désinvolte et grossière de François-Marie Banier.
- Le portrait d’une certaine France qui se dessine au fur et mesure de la représentation. La France contemporaine d’en haut, celle de la finance et de la politique, avec leurs corollaires, comme la corruption, la compromission et le mensonge.
Quelques réserves
Je n’en vois pas. Simplement, si on pense à se poser cette question, soufflée par Vinaver lui-même, à la fin de sa pièce: «Qu’est-ce que le théâtre vient faire dans cette histoire ?», certains diront : « on se le demande». D’autres répondront : «tout!», puisque le théâtre doit donner à voir et à entendre les soubresauts du monde...
Encore un mot...
Une pièce qui donne à un fait divers le souffle d’une épopée… On est bluffés!
L'auteur
De son vrai nom Michel Grinberg, Michel Vinaver, écrivain français d’origine russe, né à Paris le 13 janvier 1927, a longtemps mené deux carrières de front. L’une, à partir de 1953, dans le milieu de l’industrie. L’autre, dans le monde des lettres, à la fois comme écrivain (son premier roman « Lataume » a été publié chez Gallimard en 1948, à l’instigation d'Albert Camus), traducteur (essentiellement d’auteurs russes), dramaturge (sa première pièce «Les Coréens» date de 1956) et essayiste.
Sa promotion comme PDG de Gillette-Italie en 1964, puis un an plus tard, de Gillette-France, ne va pas freiner ses activités d’écriture. Il va continuer à publier régulièrement des pièces dont «La Demande d’emploi», «A la Renverse».
Quand il quitte ses fonctions chez Gillette au début des années 80, il devient professeur d’Université, sans abandonner ses activités de dramaturge. Parmi ses œuvres, «l’Emission de télévision», créé par la Comédie Française en1988, au théâtre de l’Odéon, «L’Ordinaire» qui entre au répertoire de cette même Comédie Française en 2009.
«Bettencourt Boulevard ou une histoire de France» est la pièce la plus récente de ce dramaturge dont la particularité est de puiser la matière de ses textes dans l’actualité. Cette singularité en fait un témoin et chroniqueur exceptionnel de notre société.
Ajouter un commentaire