Anna et Martha

De
Dea Loher
Mise en scène
Robert Cantarella
Avec
Catherine Hiegel ( Anna), Catherine Ferran (Martha), Nicolas Maury et Valérie Vivier.
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Théâtre 71
3 place du 11 novembre
92240
Malakoff
01 55 48 91 00
ATTENTION: DERNIERE REPRESENTATION LE 13 MARS

Thème

L'auteure de cette pièce, Dea Loher, très connue dans le théâtre contemporain allemand, est née en 1964 en Haute-Bavière. Elle a écrit sa partition moderne, cocasse et très sombre, en référence aux "Bonnes" de Jean Genêt. " Les Bonnes" sont devenues un classique mais la pièce en 1947, choqua un public plus familier d'une douceur et d'un confort feutré à la Giraudoux. Genêt s'était inspiré du fameux fait-divers des années 30 : les soeurs Papin qui avaient sauvagement tué leur patronne et sa fille.

Ici, Madame, la patronne tyrannique, radine, injuste et méprisante, a été assassinée par son personnel mais le corps est conservé au congélateur. Anna ( l'ex couturière), Martha ( l'ex cuisinière),l'ex chauffeur et Xana, la femme de ménage, reproduisent un univers malsain, violent, morbide mais avec des restes d'humanité et de poésie .

Les mauvais sentiments ont descendu les barreaux de l'échelle sociale et tout le monde se hait et s'agresse. La femme de ménage qui a le look de Zézette dans " Le père Noel est une ordure" mais peut aussi rêver dans sa robe de lamé, est traitée par les autres d'"auxilliaire au noir, sans papiers, sans couverture sociale".

Elle se dit " femme de ménage heureuse", alors Anna la croit en dépression.

C'est noir, sombre, pessimiste, drôle parfois, mais nous ne sommes pas dans "Affreux, sales et méchants" , le ton rappelle celui de grands auteurs comme Thomas Bernard ou Botho Strauss.

Points forts

1 Le style est donné d'emblée avec le décor hyperréaliste, en scope sur une scène très ouverte qui présente un appartement de fonction à la blancheur et à la froideur d'hôpital. A gauche, la voiture des patrons est bâchée sous les arbres à feuilles mortes. A droite, le grand congélateur blanc où repose Madame comme dans un tombeau. 

Parfois, des panneaux de décor se colorent vivement, à la Mondrian. Sans être surprenant ou spécialement novateur, ce décor est très juste et d'une esthétique froide que l' on aime regarder. C'est important.

La mise en scène frontale de Robert Cantarella est bien sûr, indissociable. Implacable. Sans concession et sans fausse note.

2 Une très bonne idée de l'auteure : le chauffeur qui fut traité comme un chien, se comporte en chien debout, avec une grosse tête de chien marron et cela fonctionne et terrifie.

3 Catherine Hiégel et Catherine Ferran, deux actrices emblématiques de la Comédie Française, sidèrent par leur jeu, leur présence, leur douleur et leur humanité. 

Au passage: C. Hiégel ne cesse de travailler et de mettre en scène depuis qu'elle a dû quitter le Français. Elle est ici une Anna élégante, monstrueuse, méchante et 
cocasse. Elle éructe à la Thomas Bernard ou à la Céline. Et puis hop, elle a un geste sexy de grande dame ou un étonnement comique.

Le rôle de C Ferran est plus abîmé : hanche malade et lourdeur de cuisinière. Présence forte.

4 Le quotidien décolle et prend sa dimension comme métaphore de la société capitaliste et des rapports de force. C'est la lutte des classes à domicile. L'ironie sociale féroce décoiffe .

Quelques réserves

En sourdine, on pense aux Bonnes, aux vraies, celles de Jean Genêt. 

Certes, cette pièce récente est aussi faite pour jouer avec cette dialectique mais Genêt c'est Genêt. Et comme les thèmes de l'aliénation sont les mêmes, la surprise du texte n'est peut être pas assez complète. Les histoires et anecdotes racontées sur la vie avec Madame donnent parfois une impression de "bout à bout" qui agrippe moins.

Encore un mot...

Ce spectacle donné à Malakoff ( accès très facile et près du métro) est vraiment au niveau de ce que l'on peut voir, par exemple, à l'Odéon. Mais ce n'est pas un scoop: il y a longtemps que la vraie création théâtrale se fait surtout en région et au delà du périphérique.

Ce spectacle cohérent réunit des affinités de personnes familières d'un certain théâtre : celui de Thomas Bernard, Heiner Muller, Minyana, Michel Vinaver, Jean Luc Lagarce..... Sans oublier Molière et Shakespeare!

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