Allers-Retours
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Thème
Cette pièce d'Odön von Horvàth, auteur majeur et sans doute moins connu que Stephan Zweig, est une comédie populaire, une fable, une sorte de farce kafkaïenne de l'entre deux guerres mais qui résonne particulièrement à nos oreilles placées, jour après jour et involontairement, dans le champ, hélas souvent tragique d'une actualité très médiatisée et clivante : la migration (à l'époque on parlait pudiquement de "personnes déplacées" ou de réfugiés).
Nous sommes en 1933, à l'aube du 3ème Reich, à cheval sur la frontière austro-tchèque. Un homme seul, la valise à la main, chapeau mou vissé sur la tête, avance dans la nuit noire... Il se nomme Ferdinand Havlicek, il était droguiste, il est maintenant ruiné et expulsé.
Il tente, fuyant son pays - imaginez une scène du "3ème homme" ou la porte de Brandebourg à l'époque du" mur"- de passer la frontière au nez et à la barbe d'un garde frontière improbable, un rien éméché, en prenant un immense pont... De l'autre côté, on devrait l'accueillir ? Nein, on ne passe pas! Notre héros ne peut pas rejoindre son pays natal, il y est inconnu au bataillon. Il rebrousse chemin, même topo. Refoulé et indésirable. Et ainsi de suite. C'est absurde et grotesque. Comme le fameux pont sous lequel il se cache et essaie de dormir... Havlicek y fait des rencontres ubuesques : 2 chefs d'état complotistes, un pécheur à la ligne qui taquine le goujon et noie sa femme, le grand amour qu'il sauve de la ruine, mais par quel miracle, des trafiquants en substances illicites...
Points forts
Beaucoup de points forts. Insistons en particulier:
a) Sur l'humour et l'humain, sur la dérision et le dérisoire
On est entre "petites gens", des personnages insignifiants peut être, mais qui se grandissent dans la démesure, ballotés entre réalisme poétique et figures de marionnettes ; pauvres, clochards, étrangers, petits chefs ou hommes d'Etat magouilleurs et peureux, tous terriblement humains, tous oscillants entre l'absurde et le grotesque, entre la générosité et la bêtise. C' est follement drôle et grave à la fois... et très étrange
b) Sur le politique et le social
Le fameux pont est bien sûr aussi symbolique que réaliste. Le pont de bois vermoulu de 1933, c'est la passerelle déglinguée entre le Nord et le Sud, entre l'Orient et l'Occident de 2018. C'est en tout cas la métaphore esquissée par l'excellent metteur en scène Alain Batis. Subtilement, tout en finesse, on est touché au cœur et à l'esprit. Alain Batis, inspiré, nous confie: "Aujourd'hui parler des frontières, de la liberté de circulation, de l'hospitalité, est un sujet central". Vaste sujet, ici traité avec légèreté
c) Sur les acteurs de cette comédie infernale
Ils sont tous épatants, malicieux ou poétiques, toujours justes et vifs... 8 acteurs en délire, à la fois chanteurs et musiciens (oui, on y chante et on y danse sur ce pont!). En premier lieu : Raphael Almosni et Sylvia Amato
Quelques réserves
Il faut un peu de courage pour aller jusqu'à l'Epée de Bois, derrière le Château de Vincennes, au cœur du Bois, par le temps qui court mais on revient enthousiaste de cet "Allers-Retours". Le bonheur ça se mérite !
Encore un mot...
Si vous le pouvez, à ne manquer sous aucun prétexte. Et riez avant d'avoir envie d'en pleurer.
Une phrase
Première partie - Scène VI
Havlicek : "J'aimerais contester encore une fois mon expulsion. On m'expulse sans autre forme de procès, moi qui n'ai rien fait de mal."
Mrschitzka (gendarme) : "Encore ! Bien sûr qu'il n'a rien fait de mal, cet expulsé, mais il a perdu sa fortune et risquait de se retrouver à la charge de notre Etat-providence. Pourquoi notre providence devrait-elle aider un étranger, alors que notre Etat lui-même n'est qu'un gringalet, un cendrillon, un tout petit, incapable de payer ses préposés plus qu'un salaire de misère."
L'auteur
Ödön von Horvàth, noble de nationalité hongroise (il en a du moins le passeport), issu d'une famille catholique de diplomates, mais né en Croatie en 1901, élevé à Budapest, Bratislava, Belgrade, Munich, est un pur produit de l'empire Austro Hongrois, en réalité un rebelle qui se veut apatride, luttant contre l'ordre établi et l'esprit de caste : "Je n'ai pas de patrie et je n'en souffre aucunement. Le concept de patrie, falsifié par le nationalisme, m'est étranger. Ma patrie c'est le peuple."
Il écrit, entre 1927 et le 1er juin 1938, date de sa mort à Paris, une vingtaine de pièces sur ce thème de la culture populaire et de l'histoire politique de l'Allemagne dominée par les nazis : "Révolte à la côte 3018", "Légendes de la Forêt Viennoise" qui lui vaut le prix Kleist et lui apporte la consécration, "le Belvédère", "Casimir et Caroline".... Il écrit aussi des romans parmi lesquels " L'Eternel petit bourgeois", dans lequel il fustige la médiocrité et la lâcheté de la petite bourgeoisie des années 20 et 30
Honni par le régime nazi, qualifié d'auteur dégénéré, von Horvàth est condamné à l'exil. Il meurt en France, tué par la chute d'une branche d'arbre, à la sortie du Théâtre Marigny. Vraiment absurde. Pour Alain Batis, Ödön von Horvàth doit être célébré comme l'un des plus grands dramaturges du XXème siècle.
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