Voyage au bout de l'enfance
Janvier 2022
80 pages
13 €
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Thème
Fabien, bon élève, passionné de poésie, est arraché à sa cité de Sarcelles, à ses amis, à l'équipe de France de football, au poète Jacques Prévert et à son maître Monsieur Tannier. Ses parents entreprennent un étrange voyage, qui les conduiront à Raqqa, le paradis "tant attendu" de l'Etat Islamique, qu'ils ont choisi de rejoindre. Avec un œil curieux, le voici qui découvre sa mère couverte du niqab, son père qui devient soldat, son érudition qui le conduit à recevoir l'éducation d'un Lionceau du califat. Il entre dans un monde qui semble à l'opposé du paradis annoncé, il apprend la violence, la peur et le sacrifice. Il découvrira une autre facette l'enfermement quand il sera fait prisonnier avec sa mère à la libération par les Kurdes de la ville de Baghouz. Sa complicité avec elle, sa fantaisie et son amour de la poésie le protégeront un temps de l'indigence des camps de réfugiés, et de la dureté du traitement réservé aux anciens membres de Daesh. Dans ce récit, Fabien devenu Farid, raconte ces années de violence avec les yeux d'un enfant au seuil de sa douzième année.
Points forts
Ce récit à hauteur d'enfant est extrêmement poignant. La simplicité de ses mots, de son regard, le choc de la confrontation à la violence des adultes sont parfaitement rendus par une écriture courte, limpide et sensible.
Ce récit à la première personne témoigne de l'endoctrinement, de l'idéologie et des actes abominables commis au nom du califat en Syrie et en Irak. La poésie, qui est le paratonnerre de Fabien, ne détourne cependant pas son regard de la réalité d'une violence crue, dont l'enfant ne perçoit pas les fondements.
Il témoigne aussi de la dureté du traitement réservé aux femmes et aux enfants "de Daesh" après la chute de l'Etat Islamique, dont la culpabilité est recherchée à tout prix, et au mépris de leur âge.
Quelques réserves
Clairement, ce tout petit roman (80 pages) ne me semble pas mériter la moindre réserve.
Encore un mot...
Petit roman - grand effet ! Rachid Benzine, dans ce Voyage au bout de l'enfance, rend compte de la réalité vécue par ces enfants venus de toute l'Europe à la suite de parents à la recherche d'un hypothétique paradis. Car les parents de Fabien semblent bien les victimes d'une propagande habile, dont nous savons aujourd'hui le lourd cortège de morts et d'actes de barbarie, en Syrie, en Irak, dans les capitales européennes… Et les voici, parents et enfants, enfermés dans un piège où tout n'est que menaces, mensonges, déshumanisation, avec la mort pour récompense. Victimes, bourreaux - le cas de ces enfants a fait, et fait toujours débat.
Ce petit livre en est une contribution simple et sensible, bouleversante aussi. Car ces enfants peuvent-ils être traités comme des criminels ? Doivent-ils revenir dans leur famille, quand elle existe encore ? L'imaginaire de Fabien est sans conteste la clé d'une innocence qui lui sera refusée, autant par les hommes en noir de L'Etat Islamique que par les Occidentaux. A ce titre, Voyage au bout de l'enfance, qui empreinte au Voyage au bout de la nuit de LF. Céline la noirceur d'un quotidien sans issue, résonne comme un manifeste pour que leur soit offert la seconde chance d'une vie libre et insouciante.
Une phrase
"Je me rappelle, j'ai commencé un dimanche matin à l'école des lionceaux. On m'a donné un treillis, un bandana noir avec des versets du Coran dessus et j'ai rejoint les autres de ma classe. J'ai demandé si on allait étudier la poésie. Le professeur m'a dit oui. Et c'était vrai. On a écrit des poèmes pour dire que le calife était le meilleur, le plus fort et que l'Etat Islamique allait régner sur Terre. Je ne savais pas qu'on pouvait écrire autant de conneries avec de la poésie. " P 23
" Un jour, on nous a donné de vraies armes. On nous a expliqué comment nous faire exploser avec une ceinture d'explosifs autour de nous. Des amis plus grands se sont portés volontaires. Je ne comprenais pas pourquoi on faisait ça. La guerre contre les méchants, c'est normal. Mais on est encore des enfants. Quand je racontais à Maman, elle me serrait contre ses bras. Une fois, elle a même dit : "Mais qu'est ce qu'on fout là ? Et dire que c'est moi qui ai convaincu ton père de partir…" Je ne la comprenais pas. Ils m'avaient dit qu'on était au paradis. Alors je lui ai récité un poème à la gloire du califat. Elle m'a giflé. Je l'ai traitée de mécréante. Et puis j'ai regretté. Je lui ai écrit des beaux poèmes sur notre vie d'avant. Joyeuse. " P 29
[Alors qu'ils sont dans un camp de "réfugiés" dirigé par des kurdes, après la chute de Daesh] "Aujourd'hui, c'est Amine qui dirige les interrogatoires. C'est le plus cruel. Il parait que des enfants du camp sont déjà morts entre ses mains. Des mamans réclament leurs fils. Des adolescents ont été emmenés pour être interrogés, et qu'on n'a jamais revus". Avant de me cacher, j'ai demandé à Maman si j'étais un adolescent. Elle m'a rassuré en me disant que je n'avais pas encore onze ans. C'est vrai ça, à partir de quel âge on n'est plus un enfant ? Et on ne mérite plus la compassion des gens parce qu'on est responsable ? " P 76
L'auteur
Franco marocain, Rachid Benzine est écrivain, auteur de nombreux textes (essais, romans) prétextes au dialogue interreligieux (en particulier entre juifs et musulmans) et interculturel. Il fait de cette ambition matière à enseignements et recherches, au sein de l'institut d'Etudes politique d'Aix en Provence, au sein de l'observatoire du religieux, de l'Université de Louvain en Belgique, du Fonds Paul Ricœur. Islamologue libéral et ancien champion de Kick Boxing (!), il est notamment l'auteur, avec Christian Delorme (prêtre catholique), de Nous avons tant de choses à nous dire (Albin Michel,1998), La République, l'église et l'Islam : une révolution française (Bayard, 2016) et encore parmi d'autres ouvrages, le Coran expliqué aux jeunes ( Seuil, 2013), avec Delphine Horvilleur, Des mille et une façons d’être juif ou musulman (Seuil, 2017) pour lequel ils ont reçu tous deux le Prix littéraire 2018 de la Conférence catholique des baptisés francophones.
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