Une tache d’encre
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Thème
En ouverture, une citation de Chris Marker : « Ceci est l’histoire d’un homme marqué par une image d’enfance ». La mère vient de mourir ; le narrateur et son frère cadet se retrouvent dans l’appartement de la défunte, cet appartement « lieu de l’enfance » qu’il faut définitivement quitter : « Tels deux cambrioleurs, à genoux sur les tomettes de la chambre, dont le lit avait déjà disparu, nous faisions le tri de ses affaires, tout en vidant les derniers recoins dont nous avions oublié jusqu’à l’existence même ».
Les petites choses ordinaires surgissent, un flacon de parfum, des cartons,… et le narrateur qui confie avoir tout oublié de son enfance. Et d’évoquer, quand même, ces « moments d’allégresse », ces moments qui « dissimulent une zone d’ombre- une phrase triste, un agacement, un flottement imperceptible- qui préfigurent des ébranlements plus violents et des glissements de terrain ».
L’ébranlement, le glissement, pour le narrateur, c’est une tache d’encre, image dans le tapis; une tache qui offre au narrateur « la puissance incontrôlable de l’émotion et celle de l’écriture sans limite ». C’est aussi un encrier chinois. Duquel vont ressurgir des images du temps passé, des images d’avant la mort de la mère. Souvenirs qui remontent, passé qui bouge et vibre, il y a des trains de nuit, le boulevard Saint-Germain à Paris en Mai 68, les Pyrénées, Milan, Venise, cette ville de la mémoire et de l’oubli où il retournera avec une femme tant aimée.
Points forts
-Un texte d’à peine cent pages. C’est peu ou beaucoup. Qu’importe ! Pour sa deuxième venue dans le monde de la fiction après « Un seul souvenir » (2016, un texte dans des Balkans compliqués), le professeur de philosophie de l’art qu’est Olivier Schefer brille de mille feux et mots pour un rendez-vous avec la mort.
-Avec une extrême élégance pour « Une tache d’encre », Olivier Schefer fréquente le même monde artistique que Michelangelo Antonioni réalisant en 1960 « L’aventura »…
-Le doute entretenu tout au long du roman par Olivier Schefer. Est-on dans une chambre d’hôtel ? Peut-être. Et, pourquoi pas, dans un petit appartement ? Qu’importe ! dans cette chambre sans lit, là où la mère avait rendez-vous avec la mort, les deux frères terminent le voyage: « partager, reprendre, s’offrir ce que nous lui avions quelquefois offert… »
-Le magnétisme étourdissant du roman. Une leçon d’écriture romanesque.
Quelques réserves
A vrai dire, il faudrait être furieusement de mauvaise foi pour trouver un quelconque point faible à « Une tache d’encre »…
Encore un mot...
Un narrateur et son frère à la recherche de la mémoire perdue. Des souvenirs d’enfance qui ressurgissent au lendemain de la mort de leur mère… Avec « Une tache d’encre », Olivier Schefer signe un roman aussi définitif qu’envoûtant sur le moment où l’on quitte le « lieu de son enfance ». Un texte magnifique.
Une phrase
« Cette tache noire n’est jamais partie. Elle s’est répandue ailleurs et n’a cessé de s’élargir, de recouvrir des surfaces, d’absorber des objets. C’est elle que je voyais dans mes paysages nocturnes, par la fenêtre du train, c’est elle encore que je retrouvais dans le ciel du Tintoret pendant l’orage et la colère divine ».
L'auteur
Né en 1964, Olivier Schefer est docteur en philosophie et maître de conférences en esthétique à l’Université de Paris I. Réputé pour ses travaux sur le romantisme allemand et ses implications modernes et contemporaines, il questionne les liens entre la poésie et la philosophie, l’écriture (biographie, fiction) et la spéculation. Il écrit dans les revues « Inculte », « Critique » ou encore « Art Press », et dirige l’édition critique française des « Œuvres philosophiques » de Novalis.
Parmi les livres d’Olivier Schefer, on citera « Poésie de l’infini. Novalis et la question esthétique », « Le Brouillon général » et « La forme poétique du monde. Anthologie du romantisme allemand » (en collaboration avec Charles Le Blanc et Laurent Margantin). Il a également écrit deux romans : « Un seul souvenir » (2016) et, récemment, donc, « Une tache d’encre ».
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