Une sale française
Parution en janvier 2024
260 pages
20 euros
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Thème
Aline Beaucaire écrit une longue lettre à l’intention d’un commissaire de police chargé d’une enquête à son encontre.
Nous sommes en 1947 et la trajectoire de cette jeune femme de 36 ans tout au long de la Seconde Guerre mondiale suscite nombre d’interrogations.
Alsacienne et donc Française, devenue Allemande dès 1940 par décret du Reich, émigrée à Stuttgart pour trouver un travail de femme de chambre dans un hôtel, elle y rencontre un jeune français, Louis, aviateur démobilisé dont elle tombe amoureuse.
Louis offre à Aline une apparente sécurité, jouant de ses relations mystérieuses, et une vie festive et riche, en ces temps de restriction et de souffrance.
Une mission confiée au jeune homme en zone libre, à Marseille, les fait franchir dans des conditions terribles la Ligne de démarcation, au début de l’année 1942.
Leur installation dans le sud est troublée par des liens avec des personnages mêlés au milieu du banditisme corse et des hommes dont l’activité en faveur de l’un ou l’autre des belligérants laisse planer en permanence la suspicion et l’inquiétude...
C’est dans ce climat d’orage qu’elle apprend de Louis lui-même qu’il travaille pour les services secrets allemands. Leur idylle s’éteint avec l’arrestation de Louis et sa condamnation par les services de contre-espionnage français. Il se « suicidera » en prison.
Elle-même se retrouve dans la nasse judiciaire et est emprisonnée pendant deux ans.
Libérée en 1944, elle est rattrapée en 1945 par la justice militaire et se voit accusée de complicité du meurtre d’un soldat marocain présent dans le groupe des fugitifs de la Ligne de démarcation.
Louis, l’auteur du crime, n’est plus là pour répondre de son acte et Aline sera condamnée cette fois à 10 ans de prison...
Traitée de sale française en Allemagne, de sale boche par les policiers français, elle sera d’autant plus suspectée par ces derniers qu’une certaine Aline Bockert, suissesse nazifiée, sera à l’origine d’un doute peut-être non résolu de l’existence d’une seule et même personne !
Et cette jeune alsacienne est-elle finalement une naïve emportée dans la spirale d’un amour toxique ou une manipulatrice perverse ?
Points forts
Romain Slocombe a construit son roman autour de divers documents déclassifiés des services de police et du renseignement français. Ce support est un socle historique et incontestable et l’écrivain a su en tirer toute la substance authentique et factuelle pour dénoncer l’ambiance nauséabonde d’une époque trouble.
Le propos est rythmé par l’alternance des chapitres du livre avec les échanges des différents acteurs chargés de l’enquête autour d’Aline Beaucaire et/ou d’Aline Bockert ...
La confusion alimente de page en page une intrigue à la fois virevoltante et tragique, donnant au texte un souffle épique !
Quelques réserves
Le recours entre les chapitres à un document officiel pourrait représenter une forme d’entrave au rythme du roman tant l’envie de poursuivre l’aventure est grande mais, face à l’écriture tonique de Slocombe, la rigidité toute administrative des courriers consultés rétablit, s’il le fallait, l’ambiguïté de l’Histoire.
Encore un mot...
La période de la Seconde Guerre mondiale est, dans sa dimension dramatique, une source inépuisable d’objets artistiques, littéraires, musicaux ou cinématographiques.
La période plus précise de l’Occupation de la France ne déroge pas à cette réalité et la multitude d’écrits ou de films dont il serait plus que fastidieux d’en tenter l’énumération en est bien sûr la preuve tangible.
Romain Slocombe aborde le sujet avec l’œil incisif du grand connaisseur qu’il est de cette tranche historique et avec une sagacité étayée par l’utilisation des archives qu’il a pu consulter.
Le partage entre le versant romanesque et la dureté historique donne au livre une coloration sépia, très en phase avec une atmosphère délétère dont on mesure encore aujourd’hui le poids quotidien.
La vie d’Aline est à l’image de celle de très nombreux français qui ont été contraints au cours de ces longues années à « accepter » une situation imposée et de s’en extraire au prix d’une attitude oscillant entre la soumission et l’héroïsme.
Cette « sale française » nous émeut à plus d’un titre mais un sentiment mitigé s’infiltre tout au long du texte, renvoyant à un doute sur la vérité ou le mensonge et cette dualité est le miroir d’une réflexion qui devait être celle de chaque individu, à l’époque, en face de son voisin ou de chacune de ses connaissances...
Une phrase
- « Je n’étais pas coupable, monsieur le commissaire, et je suis la victime d’une erreur judiciaire. Tout ce que l’on pourrait me reprocher, c’est d’avoir été imprudente. » Page 17
- « Quand je serai vieille et fatiguée, je rentrerai à Wittelsheim finir ma vie, et je ne serai plus qu’un nom et un prénom et deux dates sur une pierre tombale et on me fichera enfin la paix ». Page 237
L'auteur
Romain Slocombe est né en 1953 à Paris.
Sa créativité artistique s’exprime au travers d’exercices aussi divers et riches que la littérature, la réalisation de films, la photographie ou le dessin.
Une trentaine de romans, une thématique ciblée autour de la période de l’Occupation, plusieurs ouvrages récompensés, deux romans sélectionnés pour le prix Goncourt, autant dire un parcours littéraire remarqué et remarquable.
Une sale française s’inscrit dans la lignée des livres qu’il a publiés autour du récit de la Collaboration, mêlant les personnalités griffées du stylet de la complaisance et de la complicité et celles, souvent modestes, auréolées du souffle de la Résistance et de la grandeur d’âme.
Romain Slocombe, au-delà du texte, nous offre un champ de réflexion personnelle.
Aucun jugement n’a aujourd’hui une véritable valeur morale mais on peut fermer ce livre en se posant une seule question : quelle aurait été mon implication en 1942 ?
Et de conclure par cette phrase de Stefan Zweig : « l’absence d’action masque toujours une lâcheté de l’âme » ...
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