Une bouche sans personne
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Thème
Fin des années 80, notre héros a trois amis, Lisa, Thomas et Sam, qu’il voit tous les soirs après le
travail dans le bistro dont Lisa est la gérante. Dans sa vie, c’est l’essentiel. Sinon, il est comptable
dans une entreprise, prend les transports en commun, rencontre régulièrement sur son passage une
boulangère idiote et une mémé avec son chien.
Signe particulier : il est défiguré par une cicatrice monstrueuse au bas de son visage qu’il tente de camoufler avec des écharpes. Il approche de la cinquantaine, il communique très peu. Le tableau est assez minable.
Progressivement, avec ses amis, il va commencer à se livrer à travers l’histoire de son grand-père. Et le café se remplit de spectateurs
qui viennent pour l’écouter, de plus en plus nombreux jusqu’à déborder sur toute la rue puis tout le quartier.
Parallèlement, dans son immeuble, les ordures s’entassent.
Points forts
1) C’est une absurdie magnifique: cette vie minable transcendée par un récit tout simple mais
qui provoque petit à petit une foule en standing ovation; ces ordures elles aussi transcendées
qui invitent en leurs boyaux des animaux sauvages, des musiciens et des héros de cirque.
2) Une rencontre forte entre le mesquin et le grandiose, avec toujours en toile de fond les
collègues stupides, les transports répétitifs, les chiffres rassurants.
3) Des personnages ordinaires croqués dans leur simplicité avec toujours un brin de folie (Le
grand-père avec ses histoires, les enfants inventés de Thomas, Les courriers du jour signés
par les parents Simon, décédés depuis des années)
4) Une évolution progressive du récit depuis le banal jusqu’au plus extraordinaire
5) L’écriture est simple, presque parlée, au présent, à la première personne. Elle colle au récit.
6) La clé donnée à la fin, qui ouvre sur un événement de l’Histoire, le plus horrible dans
l’extraordinaire. C’est, dans la vie de cet homme, la transcendance de sa douleur par la
parole, et, pour conforter cette parole, un écrit célèbre, le poème qui le définit comme le
définit sa cicatrice.
7) Beaucoup d’émotion authentique dans cet univers rêvé. Il y a du Boris Vian là-dedans.
Quelques réserves
Dans un sens, l’histoire de ces gens très simple a son côté élitiste: lecteur trop sage, lecteur du premier degré, s’abstenir.
Encore un mot...
C’est à la fois un grand plaisir de lecture et, à sa mesure, un outil de mémoire. Sans en dévoiler la fin
qui se fait attendre magistralement et dans la plus grande émotion, je dirais simplement que ce
roman invite un événement de l’histoire de France pour qu’on ne l’oublie pas et pour que telles
horreurs ne se reproduisent plus jamais.
Une phrase
Ou plutôt deux:
- « Le métro est rempli. Rempli de gens pressés. Pressés d’arriver et pressés les uns contre les autres. Il
y en a qui sont contents, ça leur fait une présence, une bande de copains provisoires. D’autres en ont
assez d’être serrés. S’ils n’en avaient pas assez d’être serrés, ils en auraient assez d’attendre. S’ils
n’en avaient pas assez d’attendre, ils auraient trouvé autre chose parce que ça donne une
contenance d’en avoir assez. Alors ils jettent des regards noirs. Parce que c’est la faute des autres :
ce n’est pas eux qui sont trop nombreux puisqu’ils ne sont qu’un. Ce sont les autres, il y a beaucoup
trop d’autres. »
- « Le trapéziste se prépare, se concentre, s’apprête à se lancer. Le silence se fait, des gouttes de
transpiration naissent sur les fronts, les corsages s’humidifient au niveau des aisselles. Des dents
claquent, un bridge lâche, un plombage explose, un dentier est avalé, une cardiaque décède par
étouffement, un cortège funèbre est organisé à la hâte, le traiteur ne devrait plus tarder. Le
trapéziste avance un bras … »
L'auteur
Gilles Marchand, né en 1976, commence sa carrière d’écrivain vers 2010 par des nouvelles qu’il
publie chez Antidata. Il devient animateur de cet éditeur associatif. Après « Une bouche sans
personne », dont nous tenions absolument à vous rappeler l'existence, il a publié un autre roman, « Un funambule sur le sable ».
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