Un promeneur solitaire dans la foule
Editions Seuil,
520 pages,
24 €
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Thème
A l’image des écrivains qu’il admire, incompris de leur temps ou vagabonds malchanceux, Antonio Muñoz Molina arpente inlassablement les trottoirs des métropoles, armé de son iPhone et d’un petit carnet ; l’œil et l’ouïe aiguisés, à l'affût d’une ville « de mots et de voix », il porte un regard amical et cruel sur notre époque qu’il explore à pied, non sans la comparer aux temps enfuis qui virent déambuler tant de génies encore ignorés qui prenaient comme lui des « bains de multitude ».
Points forts
- Pour renvoyer au concept du temps non continu, non linéaire, et approcher au mieux la culture populaire, l’auteur use d’une technique d’écriture faite de fragments, sorte de mosaïque composée de textes divers, « mélangés » avec une unité plus ou moins évidente (un genre littéraire qu’on appelait Miscellanées au XIXe siècle).
- Il note fiévreusement au crayon à papier les silhouettes croisées, les vitrines alléchantes ; décrit au mot près chaque publicité, emmagasine chaque prospectus et enregistre au vol les conversations tronquées des accros du portable… Les rues de Madrid, l’été, avec leurs longues jeunes filles brunies en robes légères et leurs chasseurs de Pokémons ; les artères de New-York, l’hiver, avec leurs mendiants en guenilles et leurs rebuts obscènes, dominés par les étincelantes publicités de Times Square ; les bistrots de Paris, leurs consommateurs réguliers et leurs commentateurs inlassables… Porter aux autres une attention qu’on ne remarque pas dans le vacarme de la circulation, parmi les rafales d’infos cocasses ou dramatiques, c’est la mission que s’est assignée, jusqu’au bout de la fatigue, notre curieux passionné.
- Le promeneur solitaire est aussi un espion rêvant d’un « bathyscaphe temporel » qui lui permettrait de s’immerger dans les villes qu’il parcourt avec le regard de ses grands anciens : Dickens, Poe, De Quincey, Pessoa, Oscar Wilde, Melville, Garcia Lorca, James Joyce, Baudelaire, Borges, Faulkner, ils sont tous là, avec leur gloire et leurs misères, juste évoqués, à peine rencontrés ou tendrement racontés.
- Quant à Walter Benjamin, le traducteur méconnu de Baudelaire et de Proust, l’errant à la serviette de cuir bourrée de liasses de paragraphes surtitrés (comme le fait Muñoz Molina) l’auteur s’identifie à lui au point de dire parfois « il », lorsqu’il parle de lui-même et le lecteur ne sait plus qui écrit : l’écrivain choyé de la rentrée littéraire 2020 ou le malheureux traqué, suicidé en 1940. Réincarnation ou double d’un fantôme ?
- Le style, tantôt haletant, haché de spots publicitaires, tantôt sensible et poétique est servi par une excellente traduction qui colle à toutes ces nuances.
Quelques réserves
Le parti pris revendiqué d’un collage de textes épars demande au lecteur une attention soutenue et engendre quelques répétitions qui augmentent un récit déjà long.
Encore un mot...
Toute la force du livre tient dans la simple énonciation, sans -presque- de jugement, de la réalité d’une civilisation d’injonctions et d’interdits. D’un côté les promesses de la pub omniprésente avec ses slogans agressifs et ses usines à rêves ; de l’autre, la vie besogneuse des guenilleux résignés, « princes des rebuts » et « monarques des poubelles ». Heureusement, nous reste la littérature…
Une phrase
(Dernière page)
L’invitation au voyage de Baudelaire se manifestait à moi gratuitement dans la ville où je vivais, à deux pas du bureau où je travaillais. Je regardais et écoutais la ville jusqu’à ce que ma conscience s’y dissolve comme si je m’immergeais dans une rêverie d’opium et comme si je me voyais en dehors de mon corps. Je distinguais la silhouette de celui qui marche seul dans la foule « un prince qui jouit partout de son incognito » dit Baudelaire
L'auteur
Antonio Muñoz Molina, né en 1956 en Andalousie, est un écrivain espagnol, auteur d’une œuvre considérable, déjà largement couronnée. Membre depuis 1995 de l’Académie royale espagnole, il réside à Madrid et à New York, où il a dirigé l'Institut Cervantes jusqu'en 2006. Il a reçu, entre autres, le Prix Femina étranger en 1998 et le Prix Prince des Asturies en 2013.
Père de trois enfants, il est l’époux de Elvira Lindo, romancière et journaliste espagnole, qu’il évoque très joliment dans cet ouvrage, sans jamais la nommer.
Le clin d'œil d'un libraire
LIBRAIRIE LA PROCURE. LA FOI DANS LES LIVRES. DANS TOUS LES LIVRES
On ne peut préparer et célébrer les fêtes de la nativité sans parler de la librairie La Procure, installée rue de Mézières à Paris, à l’ombre de l’église Saint Sulpice, il y a tout juste 100 ans. Plus qu’une librairie, La Procure c’est une marque symbole pour les catholiques, bien sûr, et une enseigne qui a essaimé partout en France et en Belgique, soit 33 établissements au total.
La Procure rayonne et illumine le monde de la culture et de la connaissance et pas uniquement chrétien, même si le secteur religieux représente 50% des ventes avec 50 000 références. Ici le contact avec le livre, a quelque chose, excusez- moi mon Père, de charnel. On prend on feuillette, on repose, on échange avec le libraire puis on se décide. Bref, on donne du temps au temps, l’amour du livre est palpable, la confiance instaurée avec le lecteur est sacrée.
Et voici Perrine, libraire à La Procure, très affairée et de bon conseil. Elle recommande un beau cadeau de Noël, qui vient de sortir : «Les Femmes dans la Bible» de Nathalie Nabert aux éditions Magnificat. Trente figures d’humanité, dans un style riche et profond. Personnages essentiels, ô combien. Au fait, Sainte Perrine, ou Pétronille vous connaissez ? Une grande patricienne romaine et martyre du 1er siècle, baptisée des propres mains de Saint Pierre.
La Procure, 3 rue de Mézières 75006 Paris – Tél : 01 45 48 20 25
Texte et interview par Rodolphe de Saint-Hilaire pour la rédaction de Culture Tops
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