Un papillon, un scarabée, une rose

Relation mère-fille...un livre de dentellière, toujours délicat
De
Aimee BENDER
Traducteur : Céline LEROY -
Editeur : L’Olivier, 7 janvier 202 -
352 pages -
22,50 €
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

“Je ne peux pas être avec elle. Elle a quelque chose en elle. Elle est habitée par une bestiole”, affirme Elaine. C’est de Francie qu’elle parle, sa propre fille, une enfant de sept ans qui l’écoute téléphoner et la voit sombrer dans une crise psychotique. Sa jeune existence va s’en trouver bouleversée, elle doit quitter la maison maternelle de Portland pour partir vivre en Californie chez son oncle et sa tante qui viennent d’avoir un bébé, Vicky. Là-bas, elle se construit un socle affectif mais son rapport au monde, à la fois détaché et imaginatif, fait d’elle une gamine puis une jeune femme à part. Vingt ans après le jour qui a décidé du reste de sa vie, et sans bouger de chez elle, blottie sous une tente qu’elle a dressée sur son balcon, elle décide d’explorer le temps familial et ses souvenirs en morceaux sans trop savoir où cela la mènera…  

Points forts

A la fois enquêtes familiales et fantasmagories inquiétantes, les romans d’Aimee Bender font vaciller ses personnages et le sens du réel du lecteur. Dans Un papillon…, elle suit les chemins détournés qui lui sont chers. Comme dans La Tristesse du gâteau au citron, roman qui l’a fait largement connaître, ou dans L’Ombre de moi-même, son personnage vit l’expérience de perceptions-limites. Un papillon… est un livre aussi singulier que l’esprit d’une petite fille de sept ans qui cherche ses ancrages dans un monde en plein chaos maternel, pétri d’irrationnel et de pensée magique. La mère folle et l’enfant impuissante croient toutes les deux au pouvoir angoissant de la pensée et des paroles sur les objets, eux-mêmes capables d’autonomie : un papillon s’échappe d’un abat-jour, un scarabée naît d’une page vierge, une rose se détache du motif d’un rideau... L’une sombre dans la psychose tandis que l’autre essaie de trouver ses contours à l’intérieur du monde. Elles s’aiment passionnément sans pouvoir vivre ensemble.  

La petite fille Francie est très bien vue. Aimee Bender la décrit percevant tout dans l’angoisse faute de réussir à énoncer. A travers ce personnage et sans jamais céder à la facilité des explications psychologiques, ni aux clichés de la violence des rapports familiaux, elle nous parle de la douloureuse construction de soi et de la tout aussi douloureuse reconstitution de la mémoire, les deux étant liés. Elle nous parle aussi de la survivance de notre enfant intérieur : ainsi, devenue adulte, Francie continuera de porter un regard personnel sur les objets, gagnant sa vie en les chinant et les restaurant ; elle nourrira le projet de rassembler les éclats du passé, mais à sa manière propre, se nichant chaque matin dans l’espace utérin de la tente qu’elle a dressée sur son balcon, alors que d’autres iraient s’allonger sur le divan. 

Enfin, par le prisme du couple Francie/Elaine, couple plus grand que nature, Aimee Bender interroge l’air de rien toute relation mère/fille. « Toute mère est sauvage » écrit la philosophe et psychanalyste Anne Dufourmantelle, car elle voudrait garder l’enfant en elle ; pour devenir lui-même, l’enfant doit rompre cet enchantement, « au risque, poursuit Anne Dufourmantelle, d’abandonner la mère à la mélancolie et de traverser la peur d’être lui-même abandonné ».

Quelques réserves

A mon avis, aucun point faible.  Mais certains lecteurs pourront juger la traduction (irréprochable !) un peu littéraliste. C’est cependant en restant près du texte original que l’on pouvait le mieux transposer le climat poétique d’Aimee Bender, et son travail d’écriture pour adopter le point de vue d’une petite fille perdue. Les lecteurs pour qui « roman » veut impérativement dire « histoire » seront aussi bousculés et peut-être déçus, la préoccupation majeure de l’auteure n’étant pas de conter. Enfin, pour savourer ce texte, il faut aimer se perdre dans un univers qui flirte avec l’irrationnel.

Encore un mot...

 Un livre de dentellière, toujours délicat, tour à tour dérangeant et émouvant, qui serre plus d’une fois le cœur.

Une phrase

(Alors que Francie s’apprête à monter dans le train pour la Californie avec son accompagnateur )

« Le papillon s’installait en moi, et malgré l’impression que j’avais de flotter, que les publicités alignées dans la gare pouvaient d’un moment à l’autre sortir de leur cadre comme l’avait fait le papillon, que tout – le hamburger, le chien de dessin animé, les lettres – était sur le point de surgir dans le monde, sans parler de cette sensation chaude et persistante d’avoir l’arrière du crâne qui saignait, ça n’était pas si désagréable d’être le centre d’une conversation, un sujet qu’il fallait apprendre à connaître. »

L'auteur

 Née en 1969 à Los Angeles, Aimee Bender a étudié à la University of California avec, notamment, les auteurs Judith Grossman, Geoffrey Wolff et Keith Fowler. Elle avoue des influences du côté d’écrivains aussi différents que Oscar Wilde, Hans Christian Andersen ou Anne Sexton. Nouvelliste et romancière, elle s’est fait remarquer avec La Fille en jupe inflammable(1998), L’Ombre de moi-même (2000) et Des Créatures obstinées (2005), mais c’est La Tristesse du gâteau au citron (2010) qui lui a apporté le succès international. Ses œuvres sont publiées chez L’Olivier.

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