Un monde à soi

Une chambre à soi, un livre à soi, un monde à soi : comment décider entre le livre et la vie, le monde et l’individu ?
De
Noëlle Audejean
L’Harmattan
Parution en Mai 2024
234 pages
21 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

Mathilde a tout juste vingt ans et a déjà connu le pire avec la dissolution de son foyer familial, la défaite amoureuse et une crise psychologique. Son existence est précaire, avant qu’elle ne découvre, elle qui ne cesse de rechercher avec passion l’étymologie des mots, que précaire vient de prière. Cela lui va bien, à elle et à ce qu’elle sait de son existence qu’elle ne cesse d’interroger pour qu’elle en obtienne quelque chose. 

Elle a interrompu son hypokhâgne, sans savoir si elle la reprendra à la prochaine rentrée; elle a quitté le domicile maternel pour une location provisoire ; elle a pris un boulot à l’usine avant qu’elle ne décide d’en démissionner; elle a un nouveau petit ami, mais n’est pas sûre de vouloir que cette relation dure. Et, en même temps et malgré ses doutes, l’incertitude face à l’avenir, elle a une foi inébranlable en la vie, elle est euphorique, c’est-à-dire, littéralement, portée par la joie, si l’on fait comme elle confiance, qui a donné fides en latin, à l’étymologie des mots, c’est-à-dire à leur origine et à leur vérité.

Ce roman introspectif est celui d’une quête où l’héroïne s’interroge sans trêve sur elle-même, les autres et le monde. Elle est aidée d’auxiliaires précieux, les livres, dont la lecture la guide dans sa recherche éperdue.

De telle sorte que si l’on devait choisir pour Mathilde sa devise, elle serait Apprendre à lire pour apprendre à vivre, au rebours de ce que pensent les naïfs et les incultes, comme s’il n’était permis de vivre pleinement, vita beata, qu’à la seule condition d’être en mesure de décrypter, de débusquer le sens, et finalement, de lire sa vie comme à livre ouvert.

Le livre lui-même, comme Un livre à soi eût dit F. Scott Fitzgerald ou Une chambre à soi et on verra ce que signifie ce titre, trouve sa résolution que nous ne dévoilerons pas, à l’instar de Mathilde qui ne cesse d’en prendre, dans Un monde à soi.

Points forts

Notre héroïne, et nous avec, vit en compagnie des livres. Son statut d’étudiante en devenir n’est pas seulement le motif vraisemblable de ses nombreuses lectures, elle s’identifie entièrement à chaque livre qu’elle lit, comme s’il s’agissait d’un personnage de roman : c’est L’Odyssée d’Homère, L’institut Benjamenta de Robert Walser, Le voyage sentimental de Laurence Sterne, Les gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien d’Alfred Jarry et le lecteur lui-même est plongé au milieu de ces livres, dans une profonde et charmante intertextualité. Les livres, voyez-vous, sont comme les rencontres qu’on fait dans la vie, ils se croisent, s’entrechoquent, s’influencent mutuellement et finissent par nous modifier.

Parmi toutes ces références livresques, implicites ou explicites, dont l'auteure nous donne la liste incomplète en fin de volume, c’est la Grèce qui domine, pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur, c’est la figure de Dionysos, issu de la déesse Terre, dont se réclame Mathilde et, selon elle, le pire, c’est la société patriarcale dont la civilisation hellénistique a renforcé les fondements en Occident.

On a affaire à un beau roman féministe dont l’histoire est celle du délaissement de tous les liens, qu’ils soient familiaux, conjugaux, professionnels ou sociétaux, par laquelle l’héroïne se choisit elle-même dans son lien suprême, panthéiste, avec son propre destin.

Quelques réserves

Noëlle Audejean n’hésite pas à citer abondamment les passages des livres que lit son personnage principal, à reproduire ses notes de lecture. Ce procédé n’est pas seulement justifié par le sujet même du livre : un roman de l’apprentissage qui met tout autant en scène une aventure de la lecture que celle d’une vie, mais aussi par son parti pris : celui de suivre pas à pas l’intériorité du soi. Il évite cependant tous les pièges du roman psychologique, parce qu’ici le cheminement intérieur rejoint l’extériorité pure et enfin retrouvée du monde.

C’est un plaisir pour le lecteur de redécouvrir, avec la splendeur de la jeunesse de l’héroïne, le sens de certains mots et la beauté immarcescible de textes fondateurs ou singuliers, comme si « les doigts de fées » de l’aurore, formule magique d’Homère citée dans le texte, les lestaient d’un sens nouveau.

Encore un mot...

Ce livre se signale par la fière affirmation de ses titres de chapitre : Se voir d’en haut, La métamorphose en musaraigne amphibieÔ dieux du destin, aidez-moi à trouver ma voieUn monde à soi. J’avais promis de vous dire un mot justement sur le titre du célèbre livre de Virginia Woolf, Une chambre à soi, cité dans le texte et mauvaise traduction du titre original A room of One’s one, comme si le lieu naturel des femmes ne pouvait être, dans une vision phallocrate surannée, que l’espace réduit d’une chambre plutôt qu’un lieu à part entière. Or il est celui, dans le roman de Noëlle Audejean, de l’advenue d’un monde. Toute une histoire…

Une phrase

« Athéna va réussir le tour de force, mais sans force justement, par le discours seul, à faire abdiquer ces implacables déesses. Tout d’abord elle dit que l’affaire est trop délicate pour qu’elle puisse la juger seule. Elle forme un tribunal constitué entre autres de citoyens, très nombreux à l’époque, une centaine je crois. A l’issue du procès, Athéna fait procéder au vote à bulletin secret. Mais, ajoute-t-elle, s’il devait y avoir égalité de voix, celle-ci profiterait à l’accusé. Et c’est elle qui, par sa voix, mènera à cette égalité. La vie d’Oreste sera épargnée. Je ne vous ennuie pas ? ».

L'auteur

Noëlle Audejean, auteure et psychanalyste, a eu plusieurs vies. Elle a exercé des responsabilités dans le domaine de la culture, comme chargée de production de films à Arte, animatrice d’ateliers d’écriture dans le secteur éducatif ou pour l’éducation nationale, ou organisatrice de Nuit blanche à Paris. Mais elle écrit depuis toujours et a publié plusieurs livres dont Premier songe ou Un mot peut en cacher un autre.

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