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Thème
Des existences brisées défilent sous nos yeux dans ces douze nouvelles ; tous les personnages sont confrontés aux blessures de la vie : l'appauvrissement dû à la crise économique, les déchirures familiales, les désillusions de l'amour et de l'amitié, les dégâts de la drogue et surtout la solitude !
Un ancien marine, fier de ses trois fils qui portent l'uniforme, refuse de devenir un "ex-père" ruiné, "pitoyable, faible et stupide", au prix d'actes criminels. Une vieille chienne malade incarne le passé heureux d'une famille unie avant le drame de la séparation; sa disparition signera la perte définitive des liens. Un homme trompé, quitté, invité à voir de près le nouveau bonheur éclatant de son ex-femme, ne parvient pas à guérir sa blessure. Un autre, âgé, divorcé et amer, à qui on a transplanté un cœur, vit un moment d'émotion intense, en rencontrant la jeune femme du donneur. Un artiste veut fêter le prix prestigieux qu'il a reçu, avec ses meilleurs amis, qui se montrent jaloux, envieux. Le rêve d'une modeste noire, qui a économisé toute sa vie pour s'acheter une voiture d'occasion, se brise à cause d'un sale chien. Une femme souriante redonne à un homme marié, devenu "invisible" chez lui, le sentiment d'exister, d'être lui-même. Des retraités, appelés "oiseaux des neiges", vont passer l'hiver en Floride, ce qui fera renaître à la vie la veuve de l'un d'entre eux.
Points forts
• l'art de la concision : Russel Banks nous raconte en peu de mots ces histoires apparemment banales, mais toutes symboliques de ces classes moyennes qu'il connaît si bien.
• un regard plein d'humanité sur ces personnages dérisoires, mais touchants et attachants par leur volonté de garder leur dignité au prix souvent de mensonges.
• les difficultés intimes entre parents et enfants, entre maris et femmes, soulignent la densité et la fragilité de ces liens, qui prennent alors une dimension universelle.
• la finesse dans l'analyse d'une vague insatisfaction, d'une solitude inexplicable au sein même du couple, d'où cette impression d'être invisible à l'autre.
Quelques réserves
• sur les douze nouvelles, deux ou trois retiennent moins l'attention, soit parce qu'elles semblent inachevées, soit parce qu'elles manquent de puissance.
• ce ne sont pour la plupart que des histoires tristes ou en tout cas nostalgiques, à travers ces destinées fracassées : peu de lueurs, beaucoup d'amertume.
Encore un mot...
J'ai apprécié le talent incontestable de ce grand auteur américain, qui réussit en quelques lignes à nous raconter toute une vie, en nous faisant entrer dans l'intimité de chacun de ses personnages, dont les aspirations, les préoccupations et les souffrances trouvent des résonances avec les nôtres. Il analyse avec beaucoup de justesse et de sensibilité les réactions de ces anti-héros confrontés aux difficultés économiques, sociales et morales de notre temps. On éprouve de la tendresse pour ces gens ordinaires, qui se battent au quotidien contre l'adversité, qui sont très vrais et qui nous ressemblent, d'une certaine manière.
Une phrase
On pourrait attribuer cette phrase, prêtée à l'un des personnages, à l'auteur lui-même :
"Il aime bien lire les gens de loin - c'est l'expression qu'il emploie, "lire les gens". Lecture rapide." p.181
L'auteur
Ecrivain américain de soixante-quinze ans, issu d'un milieu modeste, Russel Banks a publié des romans, des nouvelles et de la poésie. Membre de l'Académie américaine des Arts et des lettres, il a reçu le Prix Dos Passos en 1985. Ses thèmes de prédilection sont la vie quotidienne des classes moyennes et la figure du père.
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