TRUST
Août 2023
398 pages
23,50€
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Thème
Ce roman raconte la vie et l’œuvre d’Andrew Bevel, qui a édifié dans l’entre-deux-guerres une immense fortune et s’est même encore enrichi à l’occasion du krach de 1929 lorsque l’Amérique et le Monde ont vacillé. Au-delà des épisodes factuels de cette vie (sur lesquels d’ailleurs on sera peu informé, mais nous y reviendrons) c’est le passage d’une économie d’entrepreneurs et d’industriels à une économie de financiers qui est ainsi décrit, économie qui semble avoir trouvé son aboutissement ultime de nos jours.
Ce livre n’est donc pas seulement une évocation des années dites « folles » d’avant le conflit mondial mais trouve aussi des résonnances dans notre époque contemporaine.
C’est aussi l’histoire d’une solitude et d’une triste absence de sentiments, l’amour apparent entre les époux cachant de plus en plus mal une réalité plus sinistre.
Points forts
Ce roman est constitué de quatre textes en apparence indépendants (dont le lien finit par se révéler au fur et à mesure de la lecture) :
- Un roman intitulé Obligations signé Harold Vanner, qui raconte la vie d’un homme d’affaires de Wall Street nommé Benjamin Rask et de sa femme Helen, prématurément décédée ;
- Un brouillon, assez élaboré mais néanmoins inachevé, de Ma vie, récit à la première personne d’Andrew Bevel, qui tente ainsi une justification de ses actes en évoquant sa défunte épouse Mildred ; on se rendra compte par la suite, ce que l’on soupçonnait, qu’Andrew et Mildred Bevel sont les modèles de Benjamin et Helen Rask, et l’on apprendra les circonstances de la rédaction et de la publication du roman de Vanner ainsi de ce qui s’en est ensuivi ;
- Un manuscrit dénommé Un mémoire, remémoré écrit par une certaine Ida Partenza, qui a été chargée par Andrew Bevel de l’assister dans la rédaction de ses mémoires, qui ne pourra mener ce projet à son terme mais y trouvera une vocation littéraire ;
- Et enfin Futures, un extrait du journal intime de Mildred Bevel tenu pendant les derniers mois de sa vie dans un sanatorium suisse, document que l’on croyait perdu voire inexistant et finalement découvert des années après par Ida Partenza, et qui au-delà de la description clinique d’une mort annoncée nous révèlera un secret sur l’origine de la fortune de son mari.
Cette construction labyrinthique peut surprendre ; en réalité elle n’est pas nouvelle : l’idée du puzzle et du récit à plusieurs voix pour retracer la vie d’une personne se retrouve déjà chez de multiples auteurs, on pense à Faulkner ou Dos Passos sans oublier au cinéma Citizen Kane.
Quelques réserves
Il n’est pas en soi difficile d’entrer dans cette proposition qui ne compromet en rien la compréhension des événements, racontés de points de vue différents.
Un effort tout particulier a été fourni sur le style de chaque partie : le roman d’Harold Vanner est rédigé dans une écriture mécanique et descriptive, sans un seul dialogue, et semble émaner d’un Balzac froid et dépourvu de tout affect. Le brouillon des mémoires est ce qu’il est, un brouillon avec ses manques et abréviations. Le journal de Mildred est encore plus elliptique, et pour cause.
Le texte le plus intéressant est sans aucun doute celui d’Ida Partenza qui est le seul où perce une émotion véritable et une vision des choses réellement vivante, celui aussi dans lequel on peut apprécier un véritable style.
L’ensemble est donc assez plaisant et se lit aisément, en dépit du recours à des procédés (les phrases non terminées, on se croirait dans Le manuscrit trouvé dans une bouteille).
Pour autant, si ce livre a été encensé des deux côtés de l’Atlantique comme le grand roman américain sur le capitalisme, cet éloge nous semble très exagéré pour trois raisons :
Tout d’abord, le roman se veut une description clinique du mécanisme de la finance : à cet égard il manque complètement sa cible car nous défions quiconque de comprendre ne serait-ce que le principe sur lequel Bevel a édifié sa fortune. Nous n’attendons pas un précis d’économie politique mais tout de même ! Nous sommes ici dans le travers majeur des scénaristes américains dont parle Bertrand Tavernier, qui ont pour règle qu’on ne doit parler que des choses que les lecteurs/spectateurs connaissent, ce qui fait que l’on voit des grands musiciens parler un langage de cours de solfège de première année. On est ici bien loin de Balzac ou Zola qui nous expliquaient de façon exacte et technique le mécanisme de la circulation de l’argent.
Ensuite, il faut bien dire qu’à l’exception d’Ida – qui n’apparaît qu’à la page 193 – aucun personnage n’inspire une quelconque empathie ni ne suscite un désir d’identification. Plus grave, les individus n’ont guère de consistance et sont réduits à l’état de clichés, ce qui nous prive d’une véritable analyse sur les motivations du capitalisme dans sa forme la plus brutale ; les tardives confessions d’Andrew Bevel sur la confusion entre l’intérêt général et les intérêts particuliers nous laissent sur notre faim.
Enfin, l’évocation d’une époque – les roaring twenties – à New York est à peine esquissée, beau sujet trop vite évacué. La comparaison entre la vie des tycoons dans les beaux quartiers et celle du père d’Ida, vieil ouvrier typographe anarchiste, aurait pu donner de savoureux passages mais hélas il n’en est rien.
Encore un mot...
Notre époque fatiguée est-elle encore capable d’engendrer des chefs d’œuvre ? Certainement. Mais elle a surtout beaucoup d’aptitude à en voir là où il n’y en a pas. Lorsqu’on voit l’avalanche de récompenses pleuvoir sur ce livre, le commentateur doté de mémoire peut être surpris…
S’il vous plait, (re)lisez Gatsby le magnifique de Scott Fitzgerald (expressément cité par Hernan Diaz dans son texte) : tout y est mais en tellement mieux !
Une phrase
- « – (…) Comprenez-vous en quoi consiste mon travail ?
– Non.
– Merci de ne pas avoir tenté de répondre. Mon métier consiste à avoir raison. Toujours. S’il m’arrive de me tromper, je dois faire usage de tous mes moyens et ressources pour tordre la réalité de manière à la faire coïncider avec mon erreur, afin que celle-ci cesse d’être une erreur. » (p. 263)
- « La prospérité d’une nation n’est fondée que sur une multitude d’égoïsmes qui s’alignent jusqu’à ressembler à ce que l’on appelle le bien commun ». (p. 328)
L'auteur
Né en 1973 en Argentine, Hernan Diaz est un écrivain américain ; après avoir vécu en Suède et à Londres, il vit depuis vingt ans à New York où il est directeur adjoint de l’Institut Hispanique de l’Université Columbia.
Trust est son deuxième roman, après Au loin (2017) qui faisait suite à un essai paru en 2012 sur Borges dont l’influence est patente sur son style narratif. Cette œuvre a obtenu le prestigieux prix Pulitzer 2023.
Commentaires
Merci. Je commençais à me demander si je n’avais pas perdu quelques facultés mentales en lisant ce livre qui me laissait avec un goût fade, incomplet…
Vous expliquez parfaitement bien tout ce que je pense de ce livre!
Merci d'avoir éclairci mon impression sur ce livre. Je l'ai délaissé puis repris et j ai voulu le finir... ouf j y suis arrivée !
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