Suite inoubliable
Parution en août 2023
240 pages
20 €
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Thème
1945, Ken Mizutani, un jeune virtuose de 19 ans, confie à Hortense Schmidt, luthière française installée au Japon, son violoncelle, un « Matteo Goffriller » de 1712. Alors que les étudiants avaient été épargnés jusqu’à lors, le jeune musicien vient d’être appelé au combat. Tel un chant d’adieu, il interprète magistralement la première Suite pour violoncelle de Bach.
60 ans plus tard à Paris, un jeune violoncelliste français, virtuose lui aussi, remarque un changement de sonorité lors d’un concert. Il amène alors son instrument - un Matteo Goffriller - dans l’atelier du célèbre luthier Jacques-Rei Maillard. Ce luthier diagnostique “une fracture d’âme” et décide de confier la réparation à sa jeune assistante, Pamina, une brillante luthière. En le démontant, Pamina découvre une mystérieuse lettre en date du 2 avril 1945. Cette lettre va alors la mener sur les traces de sa propre histoire familiale.
Points forts
L’alternance des évènements depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu’en 2020 nous entraîne à suivre le destin de jeunes musiciens de grands talents. A travers ces histoires :
- Une immersion merveilleuse dans le monde des luthiers, ces spécialistes minutieux et patients des violoncelles, des violons et des altos, également mélomanes hors pair. Ainsi la description de leur travail : le détablage pour démonter l’instrument, la minutie demandée entre la table et les éclisses (voir p.21 la photo de ce travail).
- La description de la vie de Ken Mizutani lors de très belles rencontres alors qu’à l’âge de 16 ans il vient étudier à Paris : des violoncellistes renommés tel Pablo Casals et le Concours de Lausanne. Puis le déchirement de devoir rejoindre son pays en guerre…
- Les allers-retours entre les années 1945/1946 et 2020 : chacune de ces parties étant rythmée par le nom d’une danse musicale : Prélude – Allemande-Courante-Sarabande-Menuet-Gigue, les rythmes d’une suite de Bach. Tout cela étant merveilleusement étudié et transcrit par Akira Mizubayashi.
- Le beau personnage de Ryo Kanda, qui offre sa bibliothèque à ses patients malades et à son village, dans un acte de résistance.
- La force avec laquelle l’auteur dénonce le fanatisme des militaires vis-à-vis de l’empereur divin, les dérives autoritaires qui ont blessé le Japon, brisé et déchiré des familles depuis la guerre impérialiste sur la Mandchourie jusqu’à la Seconde Guerre mondiale et les bombes atomiques.
Quelques réserves
Je ne vois pas de réserves à noter pour ce roman au style toujours sensible et poétique.
Encore un mot...
Après le violon dans Âme brisée puis l’alto dans Reine de cœur, Mizubayashi consacre le 3ème volet de sa trilogie au violoncelle, en remarquable mélomane qu’il est. Et quoi de plus extraordinaire que Les Suites pour violoncelle de Bach ?
Au début du livre, on peut admirer un tableau par Kokoschka de Pablo Casals.
Nous retrouvons les thèmes chers à l’auteur (la transmission, l’héritage, le fanatisme et les traumatismes dus à la guerre ) à travers des personnages attachants. Mizubayashi nous fait vibrer avec la musique des Grands : Bach bien sûr véritable monument, Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert, Brahms… Mais aussi plus récent et “personnage important de l’histoire”, Edward Elgar et son Concerto pour violoncelle dont l’auteur analyse chaque mouvement et son interprétation avec une connaissance éblouissante (les pages 91 à 94 sont remarquables). Sans oublier Pablo Casals avec son chant catalan transcrit pour violoncelle, Le chant des oiseaux, d’une incroyable et émouvante beauté. Toute cette connaissance est un enchantement servi par des mots empreints de douceur.
La littérature, l’écriture, la musique sont essentielles pour l’auteur afin d’apaiser sa colère contre les régimes fascistes, le fanatisme et l’aveuglement des Japonais à suivre l’empereur déifié.
Suite inoubliable, mêlant intimement musique et Seconde Guerre mondiale, nous relate à travers le passé et le présent, une tendre histoire familiale. Bien que cette histoire soit sensiblement la même que lors des deux précédents livres, Âme brisée et Reine de cœur, j’ai vibré avec toute cette musique qui nous berce tout autant que les mots. J’ajouterai que cette Suite inoubliable peut être lue indépendamment des deux premiers. Un roman magnifique, plein d’émotions.
Une phrase
- « Le violoncelle du luthier vénitien Matteo Goffriller l’emmène rejoindre un ailleurs lointain, à des hauteurs vertigineuses au-dessus du territoire nippon où, dit-il, la raison et la conscience subissent une torture permanente infligée par un fanatisme exacerbé. Ken est un aigle qui déploie ses ailes pour planer en toute liberté dans le firmament des sentiments humains, pour parcourir toute l’étendue des émotions mises en résonance par le foisonnement des notes de Bach.» p. 27
- « Nous entendons, en effet, dans ce chant à la fois merveilleux et si profondément triste, sa douleur devant le spectacle des atrocités de la guerre et la force de sa prière pour la paix qui monte vers le ciel à l’image de l’envolée des oiseaux catalans. J’aimerais tant que ce chant résonne sur tous les champs de bataille, dans la tête des présidents qui commandent les armées, dans la conscience des soldats qui se livrent à des tueries aussi bien que dans le cœur de ceux qui tirent profit de l’industrie et du commerce des âmes.» p. 219
L'auteur
Akira Mizubayashi est né en 1951. Il maîtrise admirablement la langue française, symbole pour lui de la liberté et de la démocratie. Il écrit et pense ses livres en français. Mélomane très averti (opéras, musiques de chambre et symphonique), il a écrit, entre autres, Un amour de mille ans en 2017 et, bien sûr, Âme brisée, prix des Libraires 2020, puis Reine de cœur en 2022.
Commentaires
ce livre est exceptionnel comme les précédents du même auteur vous avez admirablement relevé tout ce qui en fait un bonheur de lecture.
Je découvre cet écrivain japonais.
Quelle maîtrise de la langue française, de la poésie,de la musique et du savoir faire des luthiers. C’est de l’Art!
Ce livre a été un moment de pur bonheur et de paix intérieure
Ces écrivains étrangers sont un honneur pour la langue française !
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