Stupeur

A travers deux cellules familiales, et le concours de l’Histoire, le destin de deux femmes en Israël. Un grand livre !
De
Zeruya Shalev
Gallimard
Traduction de Laurence Sendrowicz
Parution le 17 juin 2023
364 pages
23,50 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

 En Israël, de part et d’autre de cet État, deux femmes se livrent à un improbable dialogue. Atara, 40 ans, vit avec son mari Alex, leur fils Eden dans une belle maison avec vue sur la mer à Haïfa, ville où cohabitent Juifs et Arabes. Rachel, 90 ans, vit seule dans le désert de Judée dans une colonie israélienne sur des territoires occupés. Elle a deux garçons.

Atara vient de perdre son père, un père qui la tyrannisait quand elle était jeune; en mourant, il l’a appelée « Rachel » avec beaucoup de tendresse. Elle va partir à la recherche de cette femme.

Deux femmes donc dans l’ombre de cet homme Mano, deux femmes qui vivent en état de “ stupeur” et qui, en chapitres alternés, dialoguent au cœur des tensions de la société israélienne.

Points forts

  • Rachel se souvient : elle a 15/20 ans, nous sommes en 1948 ; elle est combattante résistante dans un groupe sioniste le « Lehi » afin de libérer la Palestine mise alors sous mandat britannique. Elle se souvient de l'intensité de cette vie passée et de l’amour qui la liait à Mano qui, lui, l’abandonnera.
  • Atara et Alex : un couple explosif, fondé sur un coup de foudre détruisant un premier mariage et un enfant pour chacun ; ils ont un fils Eden. Une subtile description de la vie de ce couple qui ne se comprend plus. Un portrait d’autant plus bouleversant avec la tragédie à venir.
  • L’omniprésence de la religion : les descriptions de cette société contemporaine maintenant toutes ses coutumes religieuses.
  • Un bel hommage à la vieillesse par des mots pleins de tendresse.
  • L’immersion dans des paysages magnifiques décrits avec réalisme.

Quelques réserves

  • Je n’en ai pas. Certes, la densité du roman est telle qu’il peut paraître parfois un peu confus. Mais ce sont des impressions éphémères.

Encore un mot...

Dès les premières pages, nous sommes plongés dans l’Histoire d’Israël en 1947/1948 :  l’Etat d’Israël n’existait pas encore et les Juifs et les Arabes luttent contre les Britanniques pour la libération de la Palestine. J’ai lu ce livre alors que éclataient les effroyables événements du 7 octobre 2023 et des semaines suivantes. L’Histoire est un éternel recommencement.

Sur trois jours, nous suivons le destin des deux femmes qui ne cessent de s’interroger. Rachel, cette combattante dont un événement dans la lutte aura raison de son mariage d’amour. Installée dans les territoires occupés, c’est une femme dure. Son fils aîné lui reproche cette vie, cette installation. Elle, l’athée, ne comprend pas son fils cadet, religieux et rayonnant de Foi.

Atara a vécu une enfance et une jeunesse difficiles avec un père autoritaire. Un premier mariage, une existence « rangée » et un coup de foudre change sa vie. Le prénom Rachel prononcé par son père sur son lit de mort l’interpelle, pourquoi ce prénom d’Atara, pourquoi cette tendresse pour celui de Rachel ?

Qui est cette femme ? L’enquête commence. Rachel va-t-elle révéler l’origine du prénom d’Atara ? 

A travers ces deux histoires, ce sont l’Histoire du pays et l’histoire d’une société faite de culpabilités et de secrets qui se déroulent sous nos yeux de lecteurs. Atara veut comprendre son passé, elle veut savoir ; Rachel, elle, veut oublier.  

Ces femmes s’interrogent, chacune de son côté, sur les difficultés à transmettre leurs valeurs à leurs enfants ; elles vont avoir besoin l’une de l’autre pour trouver une forme de paix malgré (ou grâce à) la tragédie qui touchera Atara.

L’auteure n’hésite pas à nous décrire les traumatismes de ces enfants après leurs passages dans l’armée, les tensions dans la société israélienne. Une partie de la population se radicalise dans le Hassidisme : le fils cadet de Rachel, l’athée, est un fervent pratiquant et croyant plongé dans les textes ; Atara voit peu à peu son fils Eden, bouleversé par son passage dans l’armée, s’apaiser dans la Foi. C’est donc une société contemporaine qui, en maintenant ses coutumes religieuses, se trouve fracturée. Que de combats menés pour défendre (ou assurer !) ses convictions.

Une histoire pour nous interpeller sur la parentalité, le passé et le présent, et surtout une histoire qui résonne tellement dans notre monde actuel. 

Un beau, un grand livre comme le fut précédemment Douleur.

Une phrase

  •  « Comme à l’époque, son cœur s’emballe lorsque la porte s’ouvre soudain, mais ce n’est que lui, son Petit, oui, elle l’appellera toujours ainsi malgré la barbe qui envahit son visage. Depuis qu’il a trouvé le chemin de la religion, ce fils-là n’a aucun reproche à adresser, ni au monde général et à elle en particulier, à la manière des hassidim de Bratslav, dont il est un adepte. Alors, cette fois encore, elle s’efforcera de masquer ses doutes, est-ce vraiment son Petit, ce géant avec cette tenue diasporique, cette barbe grisonnante et ces longues papillotes ? » p. 42
  • « Mais cette question était devenue marginale dès que le mouvement s’était déchiré entre droite et gauche, tiraillé des deux côtés. On se ressemblait mais on n’avait pas les mêmes idées, on partageait davantage des traits de caractère qu’une doctrine… Ils étaient frères d’armes, mais avaient presque tous échoué sur la question la plus importante, à savoir qui était leur ennemi ? » p. 91
  • « Ces territoires n’ont pas été libérés, mais sont occupés, et le pays n'est pas devenu plus fort, mais plus malade », voilà ce que lui assène sans cesse son fils Yaïr. » p. 212

L'auteur

Zeruya Shalev est une auteure israélienne née en 1959 dans un kibboutz en Galilée. Écrivain incontournable, ses livres sont traduits dans de nombreux pays. Citons Ce qui reste de nos vies, prix Femina étranger en 2014 et Douleur en 2017.

Commentaires

Anonyme
jeu 29/02/2024 - 19:58

Ce livre très dense comporte des passages passionnants et très émouvants sur le statut de mère, d'épouse. Les récits sur les combattants du Lehi ou de l'Irgoun sont intéressants aussi. Mais malheureusement ce ne sont que des fragments noyés dans une copieuse inondation littéraire qui pourrait faire tomber le livre des mains si on ne craignait de se prendre le volume sur le pied. Et puis surtout, je me suis accrochée jusqu'au bout car je m'imaginais, j'espérais un petit suspense, un petit dénouement, une chute justifiant ce long pensum. Et bien non, le roman se termine juste là où il a commencé. Ni plus ni moins, enfin si, le mari est mort et le fils se tourne vers la religion.

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