Souvenirs Dormants
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Thème
Au début des années soixante, Jean, le narrateur, a 20 ans, un peu moins, un peu plus. Il nous fait, déambulant dans les rues de Paris et vivant sous les toits, revivre certains personnages côtoyés pendant cette période charnière post adolescente, à l'aube de sa vie d'homme, 4 jeunes femmes qui l'ont marqué, ou qui l'ont ému, peut être aimé aussi, mais perdues de vue depuis.
Jean marche comme un forcené, comme un somnambule en plein hiver de 6 h du matin à 8h 1/2 ,"un répit avant le lever du jour", sur les pavés mouillés, de Montmartre à Montparnasse, de la rue Monge à la rue Michel Ange à la rencontre de l'inconnue, persuadé que l'on ne peut faire de vraies rencontres que dans la rue. La toute première, Mireille, mariée et au nom russe, présentée par sa mère quand il a 17 ans et qui lui fera découvrir Gérard Blain et la vie de noctambule de St Germain des Prés. Puis Geneviève, abordée tout simplement, avec son petit garçon, près du jardin des Plantes, et qui l'entrainait dans une chambre d'un petit hôtel des Gobelins dont "le rideau de la défense passive n'avait pas été retiré depuis la guerre" (nous sommes vers 1963). Madeleine, qu'il a tant de mal à retrouver, tant sa mémoire est "dormante", et cette Madame Hubersen qui a toujours besoin de se réchauffer malgré la chaleur. Elle insistera tant pour que Jean la raccompagne jusqu'à Versailles !! Oui mais... Jean fuit, il fuit constamment, annule les rendez-vous à la dernière minute, sans raison, ou pose des lapins avec remord, il ment pour s'esquiver (pour chercher les fameuses cigarettes), jamais par méchanceté.
La fugue est, chez le narrateur, voire chez l'auteur (?), "un mode de vie", de 11 à 22 ans en tout cas, du pensionnat au service militaire et d'une conquête féminine à l'autre.
Les dernières pages relèvent de l'enquête policière... car il y a eu, quand même, dans cette atmosphère ouatée, un meurtre. Laissons le suspense s'installer, sur les traces du limier, entre le square de " la Butte du Chapeau Rouge, l'avenue Rodin et Saint Maur des Fossés, 20 ans plus tard”.
Points forts
- Une indicible poésie, une incroyable douceur se dégagent de ces quelques lignes (120 pages en tout) écrites, semble- t- il au fil de l'eau, tout naturellement. Nous sortons comme envoutés de la lecture de ces souvenirs modianesques nimbés d'une "lumière voilée". Malgré l'insignifiance des "aventures" revécues comme dans un songe, nous restons, du début à la fin, sous le charme de ce magicien de l'écriture
- Une sémantique très accessible, des repères permanents, depuis les noms de rues de Paris les plus reculées, avec numéros précis, jusqu'aux stations de métro et terrasses de café, comme autant de petits cailloux blancs parsemés sur le chemin du narrateur... et des détails de sa vie
- Une aide précieuse - et insolite - pour retrouver la mémoire, un mécanisme d'écolier pour reconstituer des souvenirs perdus ; "Souvenirs dormants" c'est aussi un extraordinaire aide mémoire. Papier bleu et crayon papier indispensables
Quelques réserves
Un certain aspect dérisoire des situations, infimes morceaux de la vie quotidienne. Un manque d'épaisseur, certainement conscient voire volontaire chez Modiano, des protagonistes. Ni vraiment autobiographique ni essai sur la mémoire, "Souvenirs lointains" est, de notre point de vue, un cran en dessous de "Un Pedigree", de "La Place de L'Etoile" et même de "Dora Bruder". Mais comparaison n'est pas raison. Ajoutons que cet ouvrage, très facile à lire, reprend des couleurs à la lumière de la nouvelle pièce de l'auteur, "Nos débuts dans la vie", sortie en même temps, qui met en scène d'autres aventures du même héros "toujours à la rencontre de ses fantômes dans les rues de Paris".
Encore un mot...
Mémoire et Nostalgie: un homme se penche avec mélancolie sur son passé mystérieux et revit les brèves rencontres de sa vie d'adolescent. On retient son souffle au bord d'un monde marginal en voie de disparition.
Emouvant !
Une phrase
"Vous en avez de la mémoire..."
"Oui, beaucoup... Mais j'ai aussi la mémoire de détails de ma vie, de personnes que je me suis efforcé d'oublier. Je croyais y être parvenu et sans que je m'y attende, après des dizaines d'années, ils remontent à la surface, comme des noyés, au détour d'une rue, à certaines heures de la journée."
L'auteur
Né juste après la Libération (en juillet 1945), Patrick Modiano a hérité d'une enfance quelque peu orpheline, d'une adolescence douloureuse et de parents pourchassés par l'occupant et trafiquants à la marge, une sensibilité exacerbée et certains fantômes de souvenirs dramatiques. Ceux-ci sont à l'origine de la plupart de ses écrits : 30 romans, essais, pièces et scénarii en tout, pour l'instant, qui lui ont valu le prix de l'Académie Française, le prix Goncourt, le Prix Nobel de Littérature(2014). On doit citer, entre autres, outre les 3 ouvrages déjà nommés : "Les Boulevards de Ceinture", "Ronde de nuit, "Villa Triste", "Lacombe Lucien" (scénario en collaboration avec Louis Malle), "Rue des boutiques obscures" (Goncourt 1978).
Rappelons simplement l'hommage de l'Académie suédoise à son endroit : "Art de la mémoire avec laquelle il a évoqué les destinées humaines les plus insaisissables et dévoilé le monde de l'Occupation".
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