S'IL N’EN RESTE QU’UNE
Parution le 25 août 2021
237 pages
19,5 €
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Thème
Rachel est grand reporter au Sydney Match, en Australie. Si sa notoriété est acquise, elle n'a jamais vraiment fait de reportages "hors norme" mais son "Boss" lui propose d'aller à la rencontre des combattantes Kurdes, les Yapajas, ces unités féminines qui ont pris part à la lutte contre l'Etat Islamique en Syrie.
Rentrés dans la clandestinité après la trahison des occidentaux qui ont laissé les Turcs les attaquer en octobre 2019, les combattants Kurdes sont très difficiles à joindre. Rachel va partir en Syrie et croiser, au hasard de son voyage, un cimetière désaffecté et profané, contenant la tombe commune de deux femmes soldats, Tékochine et Gulistan. Elle tient là, peut être, un fil conducteur à son reportage. Curieuse de comprendre leur engagement, leur vie et leur mort, elle gagne la confiance de ses interlocuteurs Kurdes et va - à leur contact jusque dans le maquis, la clandestinité - progressivement découvrir et écrire l'histoire de l'amitié absolue de ces deux "sœurs d'arme", unies et complices jusqu'au sacrifice ultime. Le roman est décomposé en trois chapitres, trois événements clefs de ces 10 dernières années (de Kobané à Sérikani), trois actes pour une tragédie annoncée.
Points forts
Il est rare d'utiliser des termes aussi forts, mais cette histoire, si proche de la réalité, si bien documentée - la plupart des faits d'armes, lieux, événements et certains personnages sont (très probablement) réels - est tout simplement hypnotisante et bouleversante.
Au crédit de ce sentiment, une écriture fluide, nerveuse, claire, et un scénario parfaitement lisible, et sans forcer le trait, documentaire.
Des points forts, il y en a tant qu'un seul pourrait les résumer : l'histoire de ces deux membres des unités de défenses de la femme, les Ypajas ou YPJ, est celle d'une quête absolue de liberté et de fraternité, qu'elle soit composée de revendications territoriales, de liberté de pensée, d'égalité entre les hommes et les femmes. Car ces unités, uniques dans leur composition et leur esprit, formées de femmes kurdes syriennes, iraniennes ou encore irakiennes, ont forcé l'admiration de tous les pays démocratiques par leur courage dans la résistance à Daesh et pour la reconquête du nord de la Syrie contre l'Etat Islamique. Et ont payé un tribut terriblement lourd - c'est un élément très fort de ce roman - face à l'absolu fanatisme et à cruauté des islamistes - dont il faut malheureusement se rappeler qu'ils étaient pour beaucoup … européens.
Quelques réserves
Aucune réserve si ce n'est la mise en garde sur la violence des descriptions de combats, qui par la force de la plume de Patrice Franceschi, font venir à l'esprit des images terriblement macabres et réveille la conscience des instincts les plus terribles des hommes. Mais la force du livre est telle que ces passages n'effacent pas la dimension mystique du récit.
Encore un mot...
Comment ne pas recommander ce livre ? Il évoque des combats si récents, si sacrificiels qu'ils ne doivent pas sortir de nos mémoires. Car Franceschi le traduit remarquablement : le combat des Kurdes contre l'Etat islamique dans le nord de la Syrie a été essentiel, terrible par la barbarie de ces derniers, trahi par la coalition occidentale. Leur sacrifice, en l'occurrence celui de ces Yapajas, est hors du commun et il est important que le monde littéraire en porte témoignage.
Ces vers de Victor Hugo, (1853, Ultima Verba), dans la bouche d'un des officiers Kurdes, résument parfaitement le triple sens du parcours initiatique de la narratrice, Rachel : la découverte et la compréhension du sacrifice des combattantes, leur attachement absolu à la liberté, l'ultime recours.
Si l'on n'est plus que mille, eh bien, j'en suis ! Si même
Ils ne sont plus que cent, je brave encor Sylla ;
S'il en demeure dix, je serai le dixième ;
Et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là !
Une aventure remarquable, si proche de la réalité, à lire absolument.
Une phrase
Tékochine, à un journaliste occidental : […] "Mais vous vous croyez où, Monsieur le journaliste ? Dans votre pays tranquille où on est libre de tout choisir ? Choisir ce que l'on mange, comme le métier que l'on fait ? Est-ce que vous avez seulement une idée de notre espérance de vie, à moi ou à ma camarade Asya ? Nous, on dit : si on pouvait avoir quatre ou cinq ans, ce serait bien… Chez les Yapajas du Rojava, personne ne meurt du cancer." (p.125)
L'auteur
La vie de Patrice Franceschi à elle seule est un roman ! Le décrire comme un aventurier moderne est peut-être le premier fil de la carrière de cet homme engagé, officier de réserve, marin et aviateur, et dans notre cas, explorateur et romancier. Il a parcouru océans et continents pour des causes humanitaires et écologistes, participé à la résistance afghane contre l'occupation soviétique, et reste un soutien actif de la cause indépendantiste Kurde.
Il a mené depuis 40 ans une vingtaine d'expéditions d'exploration à la rencontre de peuples "premiers". Dirigeant de grandes ONG, il a également organisé de nombreuses missions humanitaires en zone de guerre. Avec France Télévision, il a réalisé de très nombreux reportages. Il est aussi "l'auteur" du premier tour du monde en ULM, a publié plus de 30 livres et essais, dont le prix Goncourt de la nouvelle, pour Première personne du singulier, en 2015. Il est enfin multi médaillé (Légion d'honneur, services militaires volontaires, Académie de Marine, Académie française, Académie des Sports, de la Société de Géographie…). Bref, un profil tout à fait hors norme !
Commentaires
Dans le confort de nos petites vies, être au côté de ces deux combattantes nous secoue. On entrevoit à travers elles, la force de leurs convictions, comme ont pu les connaître les résistants de 39-45, qui les conduit à la mort. C'est un message fort qu'elles nous délivrent, "Mourir pour la Liberté, plutôt que d'être esclaves". C'est beau et triste en même temps.
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