Serpents dans le jardin

Un parfum d'Ecume des jours, de Famille Malaussène et de Zèbre. Un roman original et poétique sur le deuil
De
Stefanie vor Schulte
Héloïse d'Ormesson
Traduit de l'allemand par Nicolas Véron
Parution Février 2024
208 pages
20 €
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Thème

La famille Mohn est en deuil. Le pire qui soit. Adam a perdu Johanne, sa femme, Linne, Micha et Steve ont perdu leur mère. Comment vivre avec une telle absence est la question que pose Serpents dans le jardin, qui raconte comment chacun habille son deuil et comment tous habitent un présent par essence insoutenable. Car ils n'ont pas choisis des chemins ordinaires : les carnets intimes de Johanne ne peuvent être lus, alors ils seront mangés page par page par chacun des membres de la famille. Comme le souvenir est plus précieux que la réalité décrite dans ces carnets, chacun s'échappe à sa façon, et tous décident d'inventer pour Johanne une histoire qui protégera leur intimité avec elle. Et ils rencontrent sur cet extravagant chemin d'autres personnages improbables. Ils participeront à la composition de la légende de cette femme et de cette mère, à la construction de souvenirs que rien, ni surtout pas le Bureau du Deuil, ne pourra altérer.

Points forts

Fable, conte ou roman, cette histoire s'inscrit dans un présent intemporel dont on comprend qu'il ne tolère que ni le deuil ni le chagrin n'altèrent le comportement social des personnages. Il y a dans leur résistance un air de Winston Smith, le héros du 1984 de Georges Orwell.

Sous l'apparence de la normalité, la fantaisie de l'histoire et des personnages apparait peu à peu. Ils sont tous attachants, tous singuliers, et tous imprévisibles. Toujours à la frontière du réel, on se demande souvent ce qui va bien pouvoir se passer, et comment, si dissemblables, ils vont bien pouvoir converger vers un même but.

Chaque personnage, face au deuil et au défi du souvenir de l'être aimé, est bien construit et intéressant dans sa psychologie. Comme le sont les pensées qui leur sont attribuées, pleines de sensibilité, en particulier concernant les enfants. 

Pour terminer sur une note plus formelle, ce roman est bien écrit, phrases et chapitres courts, dédiés à un personnage ou un instant.

Quelques réserves

Ce roman ne suscite pas de réserve, si l'on accepte que cette quête de la résilience après la perte d'un être aimé, puisse s'incarner dans une réalité et des rencontres improbables.

Encore un mot...

D'abord, il faut souligner que ce roman n'est ni triste, ni déprimant, ni larmoyant. Il s'en dégage plutôt une atmosphère qui métisse Boris Vian, Daniel Pennac et Alexandre Jardin ! Oui, comme dans l'Ecume des jours, il y a la quête d'un bonheur que l'on veut inaltérable malgré le drame, dans un univers un peu onirique. Oui, il y a dans Adam et ses enfants les pulsions claniques et les fantaisies d'une Famille Malaussène. Et il y a du Gaspard Sauvage - dit le Zèbre dans la volonté de ne pas laisser la fatalité vous écraser, d'imaginer une histoire qui transforme le présent. Ce "métissage" compose un roman original, facile à lire - et bien traduit de l'allemand, sa langue originelle. On ne sait trop si ces Serpents dans le jardin symbolisent la surprise et l'effroi devant un événement inconcevable, la paralysie devant l'événement qui hypnotise ou encore la mue nécessaire à la composition de "la vie d'après". Quoi qu'il en soit, ce roman "poétique" pourrait susciter en bien de ses lecteurs une méditation légère et grave sur l'absence de l'être aimé et l'intimité des souvenirs.

Une phrase

  • "L' ÉTÉ, EN VILLE, est toujours une surprise, si prévisible pourtant. Tout comme la mort.
    Ils ont appris à maudire la saison chaude. Lorsque le deuil est survenu en même temps que les premiers beaux jours et que le moindre pas se faisait sous un soleil de plomb. Qui affichait au grand jour leur misère, sans pitié aucune. Sans la moindre pénombre où se réfugier. Avec, partout, les bruits de l'été. Joyeux, festifs. La musique, les rires, les conversations. Les guirlandes lumineuses, les fêtes foraines, les brasseries de plein air.
  • […] Chaque été, ils seront désormais pris au piège du souvenir. Condamnés à revivre les moments les plus terribles, les heures les plus cruelles." P 33 " Ils embrassent leur père sur la joue. Presque sans la toucher, ce à quoi il aspire pourtant si cruellement. Ils sentent le chocolat. Ils ne se sont pas brossé les dents. Il a oublié de le leur rappeler. Trop tard, ils sont partis. Il sort sur le palier, mais déjà ils descendent l'escalier sur la rampe à toute allure, comme si de rien n'était. Il le leur a évidemment interdit, mais ils vivent dans un univers où ses objurgations sont autant d'étoiles en extinction.
    Il se place en surplomb de la cage d'escalier et regarde la rampe. Il voit le dessus de leurs crânes décrire une spirale. Les admire d'avoir su garder leur moi malgré toute leur peine. Ce moi qui, privilège des enfants, les relie au monde autour d'eux." P 82
  • " Micha essaie de se souvenir depuis quand ils ne sont pas allés à la mer. Est-ce qu'on ne pourrait pas y aller, pour hurler aux vagues: Tu me manques!
    Et la mer, que répondrait-elle à cela?
    «Où toute cette eau est-elle passée? » demande Micha d'une voix éteinte. La question peut paraître dépourvue de sens, mais elle ne l'est pas. Où chercher quoi que ce soit, sinon ici, dans cet appartement? Où chercher la vie, sinon entre les pages de ses livres ?" P 143

L'auteur

Stefanie vor Schulte est une auteure allemande qui publie, avec Serpents dans le jardin, son second roman. Le premier, Garçon au coq noir publié en 2022, fable médiévale, a reçu le prix Mara Cassens du meilleur premier roman outre Rhin et le prix du festival du premier roman de Chambéry. L'auteur a été scénographe de théâtre et costumière avant de prendre la plume (ou le clavier) et vit en Allemagne, mère de quatre enfants.

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