Rentrée littéraire

Les meilleures critiques ne font pas toujours un grand roman. Une satire du monde éditorial germanopratin non sans tendresse et nostalgie
De
Eric Neuhoff
Albin Michel
Parution le 5 janvier 2022
208 pages
19,90 €
Notre recommandation
3/5

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Thème

A la tête d’une bonne maison d’éditions indépendante (comme Albin Michel pour cette livraison de janvier) qui a connu son heure de gloire, Claire et Pierre forment un couple heureux au bonheur inoxydable. Ils fréquentent beaucoup (ensemble) les cocktails littéraires, boivent beaucoup, (surtout lui), ne grossissent pas (sauf lui) et passent leur temps au restaurant. Pierre, la cinquantaine bien sonnée s’agite comme un poisson dans un bocal autour duquel évolue tout un petit monde germanopratin : auteurs sur le retour, éditeurs prédateurs, membres de jury de prix littéraires prestigieux et incontournables qui font tout sans rien prouver, des agents insatiables et menaçants « they want to screw you against the wall » !), des attachés de presse névrosés… le tout dans un périmètre restreint, entre la Closerie des Lilas et Castel (encore ?).

Ah oui, on a été aussi au Caca’s club, et c’est vrai que cet ouvrage nous rappelle le 99 Francs de Beigbeder, en un peu moins superficiel et presque plus drôle. De temps à autres, des réflexions bouleversantes (!) situent le cadre et élèvent le débat, du style : « Ces soirées il y en avait trop. La Mercédès noire était garée en double file, Pierre s’était chargé du champagne, ils indiquèrent au chauffeur une adresse dans le 16è. Claire détestait quitter la rive gauche. Elle appelait Neuilly les DOM TOM ! » Si ce n’était les aventures ou réflexions de Mathieu, le grand ami incontournable et romancier, on aurait un peu l’impression  de tourner en rond sans trouver la route de la littérature. On en attrape le tournis. Mais tout cela peut-il durer ? Dès la première page de cette Rentrée littéraire, qui n’en est pas une, le ver est déjà dans le fruit. Les affaires (oui c’est un roman d’affaires, de cœur et de sous) n’étant plus ce qu’elles sont et le fisc plus l’Urssaf s’en mêlant, les Éditions de l’Epée vont plonger dans le rouge. Il va falloir céder aux sirènes d’un ogre de l’édition et passer la main. Adieu les bons restos et vive l’amour. Oui, Parce qu’il y a dans ce livre, outre la satire d’une faune bling bling, beaucoup de tendresse et de nostalgie 

Points forts

- Les sentiments très forts qui unissent Claire, l’irremplaçable, et Pierre, « l’époux loyal », sont bien rendus. Le couple évite les écueils de la tentation, les marques trop voyantes et l’usure de l’âge, ou de tomber dans l’ennui tout simplement en s’amusant de tout ; il y a pas mal d’émotion dans cette Rentrée littéraire et de tendresse à défaut de chef d’œuvre. Et, comme Pierre, on ne résiste pas au charme de Claire.          

- Un humour décapant souvent au second degré, des saillies mordantes voire méchantes, bien que méritées parfois, du style « exiger d’un éditeur qu’il lise un manuscrit c’est comme demander à une pute d’avoir un orgasme » (!). Sur 200 pages défilent ainsi une série de portraits ravageurs, de caricatures destructrices, d’évènements et de rendez-vous type grand-messes telle la foire de Brive où en fait tout se passe dans le train- c’est-à-dire rien d’important (4 pages malgré tout).

- Le style vivant, imagé avec des plans très courts et des cuts comme au cinéma, des dialogues très nouvelle vague, le film d’une époque faite d’insouciance et de légèreté insolente. On lit d’une traite, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, cette pseudo fiction dépassée par la réalité à certains égards, et dont l’auteur jette un regard à la fois moqueur  et compassionnel sur le microcosme socio culturel d’une intelligentsia très parisienne vouée à disparaître.

Quelques réserves

Elles sont peu nombreuses mais sérieuses. Une certaine déception nous trouble, tant nous respectons voire apprécions le chroniqueur qui sévit au Figaro et au Masque et la Plume de Jérôme Garcin. Elle provient sans doute d’un malentendu sur le titre qui laisse entendre que l’on parlerait un peu de littérature, d’auteurs,  de débats d’idées. Las, on parle des problèmes de l’édition bien sûr, et  cela ne manque pas de sel au regard de la lutte qui oppose  (ou opposait) Editis (Bolloré) à Hachette (Arnaud Lagardère) et des nouvelles tendances qui poussent les nouveaux auteurs à succès à prendre leur indépendance et à voler de leur propres ailes (cf. Houellebecq).

Mais c’est injuste pour les vénérables maisons qui s’accrochent et réducteur pour les auteurs qui nous régalent. Une page se tourne, au revoir Antoine et Claude. Vraiment ? Au fond, l’auteur se désole. Aucun écrivain, sauf Daninos, Paul Guth ou Jean Louis Curtis, mais ça date un peu, aucun critique n’ont grâce à ses yeux, noir c’est noir. En fait de rentrée, il s’agirait plutôt d’une sortie ! Dommage, on est peut-être  passé à côté d’un grand roman.

Encore un mot...

La légèreté acide dont fait preuve l’auteur n’exclut pas la profondeur de certaines de ses réflexions. On pourrait considérer que cette rentrée littéraire est un condensé des excellentes chroniques qu’Eric Neuhoff nous délivre dans une presse magazine bien-pensante, sur papier glacé, plus d’autres futures et inédites…et ce ne serait déjà pas si mal, tant il y met de lui-même, nous semble-t-il.

Une phrase

 (La Tentation, ndlr p 46-50) 

Il poussa la porte du Perron. Cet italien était le fief de Grasset. Pauline arriva avec 5 minutes de retard. C’avait été une belle fille…, elle avait été longtemps journaliste. Maintenant elle appartenait à un jury prestigieux, un de ceux qui faisaient vendre. Ses articles étaient vifs, malins. Pierre l’avait tannée pour qu’elle écrive un roman. Elle avait refusé. Elle n’avait pas voulu non plus qu’il édite un recueil de ses papiers. Cela lui permettait de dire pis que pendre de ses confrères. Elle n’épargnait pas surtout les femmes. Elle prétendait ne dormir que 4 heures par nuit, elle faisait des siestes quotidiennes et avait un amant italien qu’elle avait surnommé le Guépard. Ils n’avaient jamais couché ensemble mais ils entretenaient depuis le début une sorte de flirt avancé. La chose ne se produirait jamais. Elle avait certainement perdu son pucelage avec un étudiant de HEC dans les années 80. Il l’imaginait avec un serre- tête en velours… « Tu peux faire quelque chose pour moi ? demanda Pierre.  « Bien sûr tu ne vas pas me bassiner avec Mathieu et ses Kamikazes, hein. »

Il ne répondit pas. Ce qu’il voulait c’est avoir vingt-cinq ans de moins. Ils en avaient fait des conneries. « Allez, tu sais bien, je vais voter pour ton bouquin. Tu ne me remercies pas je ne l’ai pas lu ». A l’angle de la rue, il y avait un hôtel. « Quand est-ce qu’on ira ? » lui dit Pauline en le désignant.”

L'auteur

Auteur prolifique remarquable et remarqué, licencié ès lettres, Chevalier de la Légion d’honneur. La Rentrée littéraire est son 25ème ouvrage après Barbe à papa (Belfond,1995) son premier roman, la Petite Française (Albin Michel, 1997), Un bien fou (Albin Michel, 2001) Costa Brava (Albin Michel, 2017)... Il totalise, à 65 ans et  à ce jour,  au moins 7 prix, depuis les Deux Magots, l’Interallié, le Prix du roman  de l’Académie Française jusqu’au Renaudot tout récemment, catégorie Essai. Journaliste, chroniqueur, homme de média et de culture  et même scénariste.

Signe particulier : polémiste. Il a animé le Cercle sur Canal, chroniqué le Fou du Roi avec Stéphane Bern, polémiqué avec nombre de contradicteurs et devant la caméra, ne craignant pas la vindicte et les procès : taxé d’homophobie, de réactionnaire. Actuellement, chroniqueur acéré avec Jérôme Garcin au Masque et auteur pour le Fig Mag de nouvelles savoureuses et un rien provocatrices, « à la hussarde » (en référence à Michel Déon, Roger Nimier ou le non moins regretté Denis Tillinac, ses anciens acolytes).

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