Regardez-nous danser. Le Pays des autres II

Dans ce tome II de la saga marocaine “Le Pays des autres", on se retrouve avec grand plaisir au coeur des années 1970. Vivement le tome III !
De
Leïla Slimani
Gallimard
Parution le 3 février 2022
370 pages
21 euros
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

Amine, travailleur acharné, a atteint son but : faire de sa terre caillouteuse et aride un riche verger. Il est ainsi devenu un producteur d’agrumes renommé dans le pays. Mathilde n’a qu’une idée en tête : faire construire une piscine, sous mille prétextes, mais surtout pour exhiber ainsi une manifestation absolue de réussite. Cette fois-ci, l’auteur met l’accent sur les personnages secondaires de son premier opus : outre Aïcha, il y a Selma, Selim, Omar et surtout Medhi. Nous continuons l’épopée.

Points forts

  • Cet ouvrage est avant tout un roman d’ambiance, envoûtant, avec la chaleur et ce fameux vent, le chergui, qui envahit l’espace. On vit le bled marocain de l’intérieur avec ce climat si rude, au paysage si attachant.
  • Chaque page nous propose un moment de poésie. Les descriptions de la nature sont sublimes, en couleurs, nous donnant l’impression de voir les fleurs bouger au gré du vent, avec les descriptions du ramage des oiseaux, tout est empreint de joliesse.
  • Les personnages sont décrits avec minutie, souvent avec drôlerie, dans leur singularité et surtout dans leurs contradictions. D’ailleurs, tous sont capables, au moment où on s’y attend le moins, de virer de bord et d’émettre des idées étonnantes. C’est frappant chez Omar, personnage odieux et cruel s’il en est. Et pourtant, un comble, on finit par lui trouver des excuses par instants. Un policier qui torture à tout va mais qui a peur du noir ! Il voit de moins en moins bien et la cécité se rapproche. On a ici l’exemple absolu de la complexité des caractères de chacun.
  • Nous avons encore ici l’impression que ce pays ne peut se défaire de ces traditions ancestrales qui ne devraient plus avoir leur place dans le monde moderne, et pourtant, les us et les “qu’en dira-t-on” ont la vie dure. Plus anecdotique, le roi ne marche jamais sur le sol ni sur l’herbe ni sur les trottoirs ni sur le sable. On déplie des tapis à chacun de ses passages. Vous imaginez cela en France, même à l’époque des calèches ! Des tapis sur la place de la Concorde !
  • La description de la vie des hippies nous indique que ces derniers n’ont rien à envier à Katmandou. Qui aurait pu imaginer que le Maroc cachait un petit coin du Népal dans ses collines ?
  • L’aspect historique de ce roman qui nous avait laissé précédemment sur la guerre d’indépendance, nous renvoie maintenant aux conséquences de cette même indépendance chèrement payée et surtout au pouvoir du roi, monarque absolu, avec ses courtisans, et son désir de rendre aux paysans pauvres de son pays les terres riches des coloniaux qui en sont partis. Ce qui crée quelques frayeurs chez ceux qui ont su faire fructifier leurs biens à la force du poignet
  • La révolution estudiantine de 1965 et la répression sanglante qui a suivi sont évoquées ici avec tristesse.
  • Le mariage d’Aïcha est un morceau d’anthologie. Cette jeune fille, qui se jette dans la piscine en robe de mariée parce qu'elle voyait sa mère se noyer alors que celle-ci faisait un exercice d’apnée, a dû avoir un grand moment de solitude ! Ce mariage concrétise la réussite du couple Amine - Mathilde.
  • Enfin, cette écriture si aérienne, si vivante mettant en scène avec simplicité une multitude de personnages typiques qui, comme je l’avais noté précédemment, font preuve d’une immense bienveillance, du respect des anciens et de courtoisie envers tous.

Quelques réserves

Aucune réserve.

Encore un mot...

On retrouve avec bonheur nos deux héros principaux, Amine et Mathilde, avec quelques rides séduisantes en plus mais surtout, le cercle de famille s’agrandit et fourmille de caractères diversifiés et passionnants, à la fois sympathiques et exaspérants avec leurs angoisses existentielles. Amine ne dort plus tant il craint qu’on lui prenne ses terres. Mathilde se sent incomprise par ce dernier pour qui, hors le travail de la terre, point de salut. Le reste n’est que fadaises. Pas facile de vivre avec cet homme-là ! Et toutes les personnalités très fortes ont cependant des failles importantes. C’est un vrai plaisir d’aborder cette saga marocaine. Vivement le troisième volet !

Une phrase

- (P. 322, Amine est effrayé par la difficulté de l’après)

« Amine avait avancé, pas à pas, comme une tortue, une bête digne et travailleuse. Il avait avancé vers un but en apparence modeste – une maison, une femme, des enfants – et il n’avait pas compris que son but, une fois atteint, le transformerait. Tant qu’il était en lutte, menacé par les autres, par la nature, par son propre accablement, il se sentait fort. Mais la vie facile, le succès, l’abondance, l’effrayaient. »

- (La dernière phrase du livre est le symbole de tout ce vers quoi tend l’existence de Mathilde ) : « Tu es heureux, n’est-ce-pas ? "

L'auteur

Leila Slimani (1981) a écrit deux romans parus aux Editions Gallimard : Dans le jardin de l'ogre (2014), et surtout, Chanson douce qui l'a fait connaître du grand public et a obtenu le prix Goncourt en 2016, puis le Grand Prix des lectrices de Elle et le Grand Prix des Lycéennes en 2017. L'auteur a publié aux Editions de l'Aube Le diable est dans les détails en 2016 et Simone Veil, mon héroïne en 2017. Aux Editions Les Arènes enfin, sont publiés Paroles d'honneurs et Sexe et mensonges : La vie sexuelle au Maroc en 2017.  Le pays des autres est une trilogie. La guerre, la guerre, la guerre, le premier tome, est publié en 2020. Regardez-nous danser est le deuxième volume.

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