Rachel et les siens
512 pages -
24 €
Infos & réservation
Thème
Le lourd destin de Rachel à travers la Palestine, la naissance d'Israël, Istanbul et ses persécutions, Paris et l’épuration et son retour à Jaffa pleine de ses démons. L’histoire d’un conflit sanglant qui nous accompagne depuis si longtemps qu’il nous lasse , racontée par des personnages à la sensibilité exacerbée, pleins de chair, d’amour et de noblesse dans le cœur.
Points forts
Ce roman sera détesté par tous les partisans, modérés ou non, d'Israël ;
pour autant il ne sera pas aimé par ceux, antisémites ou non, qui défendent le droit des Arabes, musulmans et chrétiens, à vivre en paix en Palestine.
Il rappelle très inopportunément que cet Etat d'Israël, dont l’existence même est justifiée par les infinies souffrances subies par les juifs dans le monde, et particulièrement la shoah, s’est bâti sur la souffrance des Arabes, petit à petit exclus de chez eux.
Mais aussi que ce " chez eux" , la Palestine, était aussi le " chez eux " de Juifs là depuis tous les temps et que leur cohabitation y était paisible en 1917, lorsque commence le roman, au temps de la naissance du sionisme appelé à se développer grâce aux arrivées des immigrés juifs.
C’est la loi du nombre qui ne pose problème que lorsque qu’un seuil est atteint ; ici d’autant moins vite que les Juifs immigrés, on les appelait les Moskubim, se sont pendant longtemps attachés à ne mettre en valeur, en toute légalité et dans un incroyable élan de volonté, de solidarité et d’indicibles difficultés, que des terres désertes et délaissées comme parfaitement inhabitables.
A cette époque où le pire des souffrances n’avait pas encore été enduré dans le monde, cette installation était comme parallèle à la vie de la Palestine, comme en marge, à côté.
Ensuite la communauté grossit jusqu’à créer ex nihilo une ville juive, Tel Aviv. Rachel et son mari persistent à défendre cette cohabitation en refusant de voir qu’elle ne peut plus être une solution politique au conflit.
La désillusion de Rachel à la mort de son mari tué avec leur fille dans un attentat, n’en sera que plus grande.
Rachel fuit son chagrin et son pays et ne s’exprimera plus que par les pièces de théâtre qu’elle écrit avec talent et qui, avant longtemps, ne rencontreront pas leur public, faute d’être politiquement correctes.
Le livre met aussi en scène l’amour immense d’une mère pour sa fille, amour confisqué par l’attentat, et l’impossible fusion avec sa deuxième fille qui s’en accommode avec beaucoup d’intelligence et de compréhension.
Ce roman est indiscutablement, du fait de tous les malheurs qu’il rencontre, un mélodrame qui nous bouleverse mais à la manière de Victor Hugo, notamment dans L’homme qui rit, pour servir une cause noble et lui donner une force politique.
La seule différence, et elle est de taille, c’est qu’ici les malheurs sont vrais.
Quelques réserves
Peut être une certaine lenteur pour donner de la consistance aux personnages au début du livre avec des journées trop courtes qui s'enchaînent un peu trop vite. Mais le lecteur va vite se rattraper et s’attacher tout particulièrement à Rachel dont la densité, la chaleur et l’intelligence le submergeront bien vite.
Encore un mot...
Une belle histoire d’amour dans un pays aimé qui se détruit tout au long du
20ème siècle.
Une phrase
- Le pays ne pourra se construire que si nous sommes tous solidaires.
- Qui, tous ? demanda Rachel. Les Juifs ? Que les Juifs ? Et ceux qui étaient là avant nous ?
- Après, corrigea Irving. Après nous.
- Après nous, quand ? lança Rachel, maintenant en colère. Quand ? Il y a mille ans ? Et vous ? Quand êtes-vous venu en Palestine ? Il y a mille ans ? - Quand sont venus vos parents ? Il y a mille ans ?
Elle se dirigea vers la porte palière, l’ouvrit, et baissa la tête en attendant que le journaliste quitte l’appartement. Au moment où il arriva au seuil de la porte, le journaliste s’arrêta, dit « j’admire votre courage », et quitta l’appartement.
Et plus loin le père répond à sa fille qui le questionne :
- Qui a raison ?
- Mon trésor, dit Karl, le problème est qu’ici tout le monde a raison.
L'auteur
Metin Arditi, écrivain suisse, est né en 1945 à Ankara, d’origine turque Séfarade et a vécu dans le canton de Vaud où il a été placé pensionnaire à l’âge de sept ans. Il en a raconté ses souvenirs dans son roman Loin des bras, Actes Sud, 2009.
Après avoir étudié à l’Ecole polytechnique de Lausanne et à l’université de Stanford, il a enseigné la physique à l’ Université de Genève où il vit ainsi qu’à Lausanne où il a créé une fondation d’art.
Ses romans les plus connus sont La pension Marguerite, Actes Sud, 2007 et Le Turquetto, Actes Sud, 2011.
Le clin d'œil d'un libraire
Librairie Le Passage à Lyon. L' épidémie n’y passe pas, la culture si !
Passer le message, passer les idées, passer la culture, c’est à dire transmettre, c’est le concept premier de cette librairie bien connue du cœur du Lyon historique, dans la presqu’ile. Mais cette institution de la capitale des Gaules c‘est aussi un passage très fréquenté entre deux rues du 2e arrondissement, que les Lyonnais appellent " Passage de l'Argue".
La librairie est donc un lieu d’échanges privilégié qui a su résister à la pandémie grâce à une clientèle fidèle et qui n’a cessé de s’agrandir depuis 20 ans. Le clic et collect a permis d’éponger une partie de la chute des ventes, mais une partie seulement (-40% sur le mois de novembre) grâce au dévouement des 9 libraires de l’équipe. « Les gens se sont habitués à commander ou à réserver les ouvrages. Avec 23 000 références surtout littérature et sciences humaines, on est centré sur la littérature de création proposée par des éditeurs indépendants comme les Editions de Minuit ou P.O.L. On a toujours voulu défricher les nouvelles voies de la pensée… » confie Mathieu Baussart, co-directeur (de pensée !) de cette librairie dans la force de l’âge (fondée il y a 20 ans !). Une recommandation dans cet esprit par exemple ? « Histoire de la nuit » de Laurent Mauvignier, un thriller délirant, mais le «Yoga » de Carrère est très demandé, « L’anomalie » d'Hervé Le Tellier aussi, précise Mathieu à C-T… en passant ! Ca tombe bien ! Ces trois ouvrages ont été chroniqués par Culture-Tops.
Bonnes lectures, nous repasserons vous voir dès l’ouverture des petits « bouchons », c’est écrit.
Librairie Le Passage, 11 rue de Brest 62002 Lyon tel 04 72 56 34 84. www.librairiepassage.fr
Texte et interview par Rodolphe de Saint-Hilaire pour la rédaction de Culture Tops.
Commentaires
L’auteur nous raconte dans ce récit bien rythmé en près de cent cinquante épisodes soixante cinq ans de la vie de Rachel Alkabès (elle a douze ans au début du récit en 1917, elle en a soixante-dix-sept à sa mort en 1982), une femme prise dans la tourmente de l’histoire d’Israël et de la Palestine. Mais Rachel est tout sauf une victime; sa vie est une errance : de Jaffa-Tel-Aviv où elle retournera pour mourir en passant par Istanbul et Paris, chaque étape est riche de ses espoirs et de ses ruptures, de ses illusions finalement. Mais, et ce n'est pas la moindre qualité de ce roman, le paradoxe naît de ce que Rachel nous donne l'impression d'être maîtresse de sa destinée.
# Rachel vit à Jaffa dans une sorte de communauté idéale : cohabitation de deux familles d’origine et culture différentes : les Alkabès (Daoud et Rosika et leur fille Rachel), juifs arabes et les n.n. (Abdallah et Aïcha et leur fils Mounir) palestiniens catholiques. Rachel et Mounir sont frère et sœur de lait, Rachel ayant été nourrie au sein d’Aïcha. La ‘famille va encore s’agrandir et se diversifier avec l’arrivée d’Ida, une ashkenaze dont le père va se suicider après avoir tué sa sœur (Ida échappe au parricide). Ayant refusé d’aider cette famille de mozkubims, la famille Alkabès porte ces morts sur la conscience et décide donc d’adopter Ida. Rachel et Mounir vont finir par accepter Ida et le trio deviendra inséparable.
# Rachel : une ‘forteresse…’ (c’est ainsi que la qualifie un journaliste). Femme forte (dans tous les sens du terme) au visage gracieux, Rachel règne sur son entourage (les ‘siens’) qu’elle subjugue par son activisme et son intelligence. Après l’expérience du kibbutz, elle fondera sa nouvelle communauté idéale avec Karl : ils partagent le même idéal, celui qu’expriment Martin Buber et le mouvement du Brit Shalom.
# ‘… de cendre’ (Rachel corrige ainsi l’admiration du journaliste). La forteresse finit toujours par se fissurer, l’entourage ne répond pas toujours à ses attentes, et elle finit par s’effondrer lorsque Karl et leur fille Elisheva sont victimes d’un attentat perpétré par des terroristes palestiniens soutenus par Mounir, le ‘frère’ adoré qu’Ida, la ‘sœur’ si proche finira par épouser. D’autres trahisons suivront, d’autres réconciliations aussi, mais les blessures auront du mal à se refermer.
# Finalement, c’est par le théâtre que Rachel s’en sortira et ira au bout de son rêve et, faute de s’achever sur la scène de son ultime pièce donnée à Tel-Aviv devant un public conquis (c’est Ida qui tient le premier rôle), Rachel « montera au ciel » entourée des siens. Parvenus au terme de ce parcours de 55 ans de la vie de Rachel et de la tragédie ‘israélo-palestinienne’, et de ce récit bien rythmé par près de cent cinquante épisodes (situés et datés), on est tenté de reprendre les propos de Prospero (La Tempête) :
« Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves,
Et nos petites vies sont entourées d’un sommeil. »
Ajouter un commentaire