Quand Dieu apprenait le dessin

Roman épique et satire philosophique
De
Patrick Rambaud
Editions Grasset - 288 pages
Notre recommandation
3/5

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Thème

En cette année 828, le doge de Venise (plutôt du Rialto, car à l'époque les îles n'étaient pas réunies), décide qu'il doit marquer son gouvernement d'un acte fort qui délie la "Sérénissime" naissante de la tutelle politique et religieuse de Rome. Il charge deux de ses tribuns (des administrateurs des îles de la lagune, par ailleurs marchands et navigateurs) d'aller "sauver" la relique de l’Évangéliste Saint Marc, conservée à Alexandrie sous autorité musulmane. Quand Dieu apprenait le dessin raconte et romance, de Mayence (au bord du Rhin) à Alexandrie, cette aventure authentique. Autour du tribun Rustico, personnage central, force, intrigue, courage, rencontres opportunes, malice et ruses seront les ressorts des personnages hauts en couleurs que cette histoire met en scène.

Points forts

1- Un roman qui repose sur des faits présumés réels, le vol, ou la "soustraction" de la relique de l'évangéliste Saint Marc de l'église d'Alexandrie pour honorer Venise et assoir l'autorité et l'indépendance de la ville. Les faits sont pour partie reproduits sur les mosaïques de la basilique Saint Marc.

2- Une immersion dans une période qui reste perçue comme sombre, où les empires se cherchent, les hommes survivent entre extrême pauvreté et luxe arrogant.

3- Un récit vif et bien construit, ou chaque partie compose un tableau qui nourrit notre perception de l'époque - Peur, Pouvoir, Aventure, Légende… laissant au lecteur le soin de régler sa lecture sur le mode "image d'Epinal", reportage historique, ou satire.

4- Des personnages bien campés, dont les destins témoignent des métissages d'une époque violente mais ouverte à toutes les cultures.

Quelques réserves

1- Le résumé au dos du livre n'est pas exactement fidèle au contenu du roman. Seule la seconde partie concerne la quête de la dépouille de Saint Marc à Alexandrie. La première partie, bien menée par ailleurs, campe le personnage principal et le commerce vénitien vers l'Europe du Nord à l'aube de l'an 1000.

2- un titre peu évocateur du contenu, ce qui n'est pas grave quand le livre est de qualité. Par ailleurs, de la vie à Venise au IXème siècle, il est for peu question, notre héros étant un commerçant voyageur.

Encore un mot...

Quand Dieu apprenait le dessin est un bon roman. Avec des tonalités picaresques (un moine peu respectueux de ses vœux, une intrigante prostituée, des tableaux variés sur les dures réalités de l'époque) il vous plonge dans le commerce entre Venise, Mayence et Alexandrie, dans les années 800 après JC. Epoque épique que celle où les empires (Carolingien, Romain, ottomans) se recomposent ou s'esquissent, que Patrick Rambaud raconte avec une sobriété ironique qui n'épargne ni les hommes, ni le clergé, ni l'histoire officielle. Avec des personnages à la limite de la caricature, attachants pour autant, il nous emmène dans un haut moyen-âge aux relents de Carmina Burana, lourd, puissant, sombre, quand le destin des hommes et des nations semble encore très incertain.

Ce livre est aussi, par la verve de son auteur, d'un humour féroce sur les fondations du pouvoir religieux de l'époque. Il offre à ce titre au moins deux niveaux de lecture - roman épique et satire philosophique d'une époque à la fois troublée et fondatrice de l'Europe moderne.

Une phrase

Ou plutôt deux:

- "Ils avaient tous les trois raison. Les lois divines ne sont pas toujours bien adaptées à nos vies terrestres."

Il prend Rustico par le bras et ils marchent vers l'abbaye.

"Vois tu, ajoute l'abbé, Dieu a crée l'homme quand il apprenait le dessin. Le résultat n'est donc pas merveilleux : nous sommes tous aussi bossus, goitreux, idiots que les pèlerins de ma chapelle." P 59

-"Tous nos malheurs viennent de ces conflits lamentables et diaboliques. Ouvre les yeux, regarde autour, souviens-toi de ton périple vers Mayence, souviens-toi de Théodore, des amusements de Soulaymâne que seule retient sa sagesse, mais jusqu'à quand ? Les religions sont les manufactures où se fabriquent des monstres. Elles provoquent acharnement, délation, haine, meurtre, mépris, interdictions, rigidité, extermination, hécatombes, perversité, illusion, enfantillages… quelle confusion !" P 266

Et deux commentaires historiques : 828 est la date officielle de la construction de la basilique Saint Marc de Venise ; l'évangéliste Marc a  subi son martyr, vers 70, dans un petit port de pêche proche d'Alexandrie, Bucoles. Son corps y a été conservé dans une chapelle jusqu'en 828, date du vol par nos deux tribuns.

L'auteur

Patrick Rambaud pourrait être décrit comme un écrivain "autodidacte". Il écrit d'abord des pastiches (dont le Roland Barthes sans peine 1978), dénonce tôt le "politiquement correct" dans l'écriture journalistique. Il publie en trente ans une trentaine de romans, beaucoup historiques, certains politiques, sur Nicolas Sarkozy, François Hollande ( François le petit, 2016, voir la chronique de Jean Pierre Tirouflet)  et encore beaucoup d'autres, à la manière de… Saint Simon, Simone de Beauvoir, Marguerite Duras, Gérard de Villiers, Charles de Gaulle… 

Son immense succès, prix Goncourt et de l'Académie française en 1997, est La Bataille qui raconte la bataille d'Essling en 1809. 

Il est élu en 2008 membre de l'académie Goncourt et a reçu plusieurs prix, en particulier pour ses romans historiques.

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