Province
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Thème
Saint-Roch, journaliste frôlant la soixantaine et don Juan impénitent, se retrouve au placard en Corrèze, dans sa ville natale d’Uxeilles (Ussel) après une « faute politique, au demeurant vénielle ». Son retour met en émoi l’élite pensante de la petite cité, divisée entre Océaniques (progressistes ou libéraux) et Lépantistes (conservateurs ou littéraires). D’abord bien accueilli par le clan Lépantiste, le « revenant », qui a repris son patronyme de Pierre Mambre, finit par alarmer les mères et les maris inquiets de sa réputation qui craignent, en outre, de le voir écrire un livre sur leur communauté.
Après avoir survécu au guet-apens tendu par « les chevaliers de la perfection », Mambre se noiera définitivement dans l’ennui crépusculaire de la province.
Points forts
1 – Une description sans concessions de la vie provinciale, à la fois nostalgique et cruelle.
2 - Un sens aigu des portraits vivement brossés : tendres pour les jeunes femmes qui émeuvent Mambre ; impitoyables pour les gloires littéraires locales qui rivalisent dans les textes d’avant-garde alors que leurs « académismes se rencontrent sous le rapport du fané et de l’insignifiance ».
3 – Saint-Roch /Mambre, règle un peu les comptes de Richard Millet, lorsqu’il refuse d’accueillir une Alice Garganteix assez transparente, venue faire la promo de son livre « Enterrer les défunts ».
Quelques réserves
1 – Les phrases très longues (si longues que Millet doit parfois rappeler le sujet entre parenthèses) sont largement ponctuées de verbes au participe présent et sinuent à la façon d’un esprit qui vagabonde dans une démarche assez proustienne.
L’auteur assume son écriture dans une interview donnée à L’Express en 2005 : « Face à l’affadissement général, je préfère, au contraire, adopter le ton le plus éloigné possible du langage courant. Il faut s’insurger par le style, par le déploiement de subordonnées complexes, tout en restant lisible. Voilà ma manière à moi d’affronter la Bête (…).Je ne cherche pas à être populaire. Je revendique l’élitisme ».
Il n’empêche, la lecture est difficile…
2 – « Les Chevaliers de la Perfection » (sorte de conjuration sacrée en révolte contre la société bourgeoise, à la façon du groupe Acéphale de Bataille, Klossowsky et consorts) ne sont guère crédibles même si, actualité oblige, l’un d’eux manque son départ pour le jihad et se suicide.
Encore un mot...
Roman de la mélancolie et du déclin, « Province», en fustigeant (assez drôlement) la décadence littéraire, s’inscrit dans la droite ligne d’ouvrages comme « Le Confort Intellectuel » de Marcel Aymé (1949) ou « La littérature à l’estomac » de Julien Gracq (1950) tout en adoptant une configuration sociologique très actuelle mais assez caricaturale.
Une phrase
"Ah je te loue Yhw oui je serai délivré de mes ennemis
Je suis ligoté à la mort
J’ai si peur des torrents de Bélial
Je suis ligoté au Shéol : les pièges de la mort m’attendent
Ils chevauchent un kerow il vole il plane sur le vent ailé".
Une version qui n’a rien à envier, dans l’art de l’insignifiance mystérieuse, à l’inénarrable poème concocté par Marcel Aymé dans « Le Confort Intellectuel » :
"Roche desprise il se surlève du guidon
trois degrés mourant sur vos échines haut et bas
arc-en-ciel divisé la plaine est pleine et coule
la rivière crescendo
le bruit blanc le chant allons au pré
doux équilacérés la flamme torte fuligine
la retombée coucou."
L'auteur
Ecrivain et essayiste, Richard Millet est un auteur prolifique dont l’œuvre romanesque s’est construite autour des thèmes de la dissonance, de la solitude, du temps et de la mort. Sa veine pamphlétaire, elle, s’exerce aux dépends de la sous-littérature actuelle et pointe la décadence d’un art bridé par le politiquement correct et le multiculturalisme.
Rédacteur en chef de La Revue littéraire depuis 2015, il a perdu son poste d’éditeur chez Gallimard en 2012 après la publication de son « Eloge littéraire d’Anders Breivik », avant d’être licencié définitivement en mars 2016 pour « faute grave » à la suite d'un article critique dans lequel il vilipendait le style post-littéraire de certaines de ses consœurs.
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