Province

Le roman, acerbe, de la mélancolie et du déclin
De
Richard Millet
Editions Léo Scheer
Notre recommandation
3/5

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Thème

Saint-Roch, journaliste frôlant la soixantaine et don Juan impénitent,  se retrouve au placard en Corrèze, dans sa ville natale d’Uxeilles (Ussel) après une « faute politique, au demeurant vénielle ». Son retour met en émoi l’élite pensante de la petite cité, divisée entre Océaniques (progressistes ou libéraux) et Lépantistes (conservateurs ou littéraires). D’abord bien accueilli par le clan Lépantiste, le « revenant »,  qui a repris son patronyme de Pierre Mambre, finit par  alarmer les mères et les maris inquiets de sa réputation qui craignent, en outre, de le voir écrire un livre sur leur communauté.

Après avoir survécu au guet-apens tendu par « les chevaliers de la perfection », Mambre se noiera définitivement dans l’ennui crépusculaire de la province.

Points forts

1 –  Une description sans concessions de la vie provinciale, à la fois nostalgique et cruelle.

2 - Un sens aigu des portraits vivement brossés : tendres pour les jeunes femmes  qui émeuvent Mambre ; impitoyables pour les gloires littéraires  locales qui rivalisent dans les textes d’avant-garde alors que leurs « académismes se rencontrent sous le rapport du fané et de l’insignifiance ».

3 – Saint-Roch /Mambre, règle un peu les comptes  de Richard Millet, lorsqu’il refuse d’accueillir une Alice Garganteix assez transparente, venue faire la promo de son livre  « Enterrer les défunts ».

Quelques réserves

1 – Les phrases très longues (si longues que Millet doit parfois rappeler le sujet entre parenthèses) sont largement ponctuées de verbes au participe présent et sinuent à la façon d’un esprit qui vagabonde dans une démarche assez proustienne.

L’auteur assume son écriture  dans une interview donnée  à L’Express en 2005 : « Face à l’affadissement général, je préfère, au contraire, adopter le ton le plus éloigné possible du langage courant. Il faut s’insurger par le style, par le déploiement de subordonnées complexes, tout en restant lisible. Voilà ma manière à moi d’affronter la Bête (…).Je ne cherche pas à être populaire. Je revendique l’élitisme ».

Il n’empêche, la lecture est difficile…

2 – « Les Chevaliers de la Perfection » (sorte de conjuration sacrée en révolte contre la société bourgeoise, à la façon du  groupe Acéphale de Bataille, Klossowsky et consorts) ne sont guère crédibles même si, actualité oblige, l’un d’eux manque son départ pour le jihad et se suicide.

Encore un mot...

Roman de la mélancolie et du déclin, « Province», en fustigeant (assez drôlement) la décadence littéraire, s’inscrit  dans la droite ligne d’ouvrages comme « Le Confort  Intellectuel » de Marcel Aymé (1949) ou « La littérature à l’estomac » de Julien Gracq (1950) tout en   adoptant  une configuration  sociologique très actuelle mais assez caricaturale.

Une phrase

"Ah je te loue Yhw oui je serai délivré de mes ennemis

Je suis ligoté à la mort

J’ai si peur des torrents de Bélial

Je suis ligoté au Shéol : les pièges de la mort m’attendent

Ils chevauchent un kerow il vole il plane sur le vent ailé".

Une version qui n’a rien à envier, dans l’art de l’insignifiance mystérieuse,  à  l’inénarrable poème concocté par Marcel Aymé  dans « Le Confort Intellectuel » :

"Roche desprise il se surlève du guidon

trois degrés mourant sur vos échines haut et bas

arc-en-ciel divisé la plaine est pleine et coule

la rivière crescendo

le bruit blanc le chant allons au pré

doux équilacérés la flamme torte fuligine

la retombée coucou."

L'auteur

Ecrivain et essayiste, Richard Millet est un auteur prolifique dont l’œuvre romanesque s’est  construite autour des thèmes de la dissonance, de la solitude, du temps et de la mort. Sa  veine pamphlétaire, elle,  s’exerce aux  dépends de la sous-littérature actuelle et pointe la décadence d’un art  bridé par le politiquement correct et le multiculturalisme.

Rédacteur en chef de La Revue littéraire depuis  2015, il a  perdu son poste d’éditeur chez Gallimard en 2012   après  la publication de son  « Eloge littéraire d’Anders Breivik », avant d’être  licencié définitivement en mars 2016  pour « faute grave » à la suite d'un article critique dans lequel il vilipendait le style post-littéraire de certaines de ses consœurs.

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