Perspective(s)

Florence, XVI ème siècle. Une enquête historico-policière et une belle déclaration d’amour à la peinture de la Renaissance italienne
De
Laurent Binet
Grasset
Parution le 16 août 2023
288 pages
21,50 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

Dans la Florence du XVI ème siècle (1556-1557), la mort du peintre Pontormo, assassiné devant la fresque sur laquelle il travaillait depuis 10 ans, sert de trame à une enquête policière, retracée dans un échange de correspondances entre les divers protagonistes, du duc de Toscane à Michel-Ange, en passant par une flopée de peintres de renom. C’est donc un roman épistolaire que livre Laurent Binet par la rentrée littéraire, genre qui acquit ses lettres de noblesse avec Montesquieu et surtout l’inoubliable Liaisons Dangereuses, de Choderlos de Laclos.

Florence est alors soumise aux Médicis, en l'occurrence Cosme 1er, duc de Toscane qui voudrait obtenir du pape l’érection du duché en royaume. La ville regorge d’artistes, Bronzino, Cellini, Vasari... qui vivent des commandes ducales; elle garde par ailleurs la trace de Savonarole, l’austère dominicain qui la gouverna à la fin du XV ème siècle et fit brûler les oeuvres de Botticelli, avant de finir lui-même sur le bûcher. La propre tante du duc Cosme, Catherine, est la reine de France, ce qui n’est pas indifférent dans une Italie, champ clos dans lequel les puissances, France, Espagne, Empire se livrent une lutte d’influence acharnée et sporadique.

Points forts

C’est ce panorama, complexe et mouvant, que Laurent Binet décrit à ses lecteurs, auxquels il suppose tout de même un minimum de culture historique sans laquelle ils perdraient une partie de l’intérêt du livre. En faisant allusion à Ferrare, Naples, Rome, Milan, Venise, il décrit bien cette Italie de la Renaissance, mosaïque d'États entre lesquels se trament alliances et trahisons, sous la surveillance attentionnée du pape. A le lire, on comprend la référence à Machiavel et le jeu diplomatique des principules qui cherchent à sauvegarder ou agrandir leur pré carré.

Pour autant, le vrai sujet du livre est évidemment la peinture et plus précisément la peinture maniériste, celle que pratiquait Jacopo de Pontormo et son élève le plus fameux, le Bronzino. C’est un véritable cours d’histoire de l’art auquel nous convie Laurent Binet, en mettant ces propos dans la bouche des plus grands acteurs de la peinture du XVI ème siècle. La leçon de Michel-Ange sur la perspective est le point d’orgue de cette déclaration d’amour à la peinture italienne. Notre auteur va même plus loin en marquant l’opposition des goûts et des écoles et les effets du temps qui passe sur l’évolution de l’art pictural. C’est bien fait, bien amené, bien écrit. Monsieur Binet confirme les qualités de style et d’écriture qu’il a démontrées dans ses opus précédents.

Il campe des personnages secondaires qui sont autant d’occasions d’élargir le propos et d’afficher quelques références à des sujets d’actualité: les tentatives de syndicalisation des broyeurs de couleurs ne rappellent-elles pas les luttes sociales quel tout homme de gauche se doit d’évoquer; quant aux deux religieuses adeptes de Savonarole, ne représentent-elles pas une fine allusion aux luttes féministes: soeur Plautilla Nelli, peintre talentueuse est condamnée à abandonner son art ?

Quelques réserves

Les propos sur l’art pourraient parfois donner l’impression d’un “copié-collé“, alors qu’ils sont, dans l’ensemble rédigés d’une écriture vigoureuse.

L’intrigue policière n’a que peu d’arguments pour convaincre le lecteur; elle passe rapidement au second plan en termes d’intérêt. Quant à la solution de l’énigme, elle est tellement invraisemblable qu’elle affecte la crédibilité de la construction romanesque, casse l’unité d’action et rend très artificielle la juxtaposition des différents épisodes.

Encore un mot...

Une construction originale pour un sujet passionnant, traité avec maîtrise par un écrivain qui confirme son talent.

Une phrase

[dans la bouche de Michel-Ange…] « La perspective nous a donné la profondeur. Et la profondeur nous a ouvert les portes de l’infini. Spectacle terrible. Je ne me rappelle jamais sans trembler la première fois que je vis les fresques de Masaccio à la chapelle Brancacci. Quelle connaissance merveilleuse des raccourcis ! L’homme d’aplomb, enfin à sa taille, ayant trouvé sa place dans l’espace, pesant son poids, chassé du paradis mais debout sur ses pieds, dans toute sa vérité mortelle. L’image de l’infini sur terre, voilà ce que, bien loin d’avoir corseté l’imagination des artistes, la perspective artificielle nous a accordé. » Page 244.

L'auteur

Laurent Binet a connu la notoriété (Prix Goncourt 2010 du premier roman) avec son roman HHhH sur Heydrich, le principal collaborateur d’Himmler, suivi de La septième fonction du langage en 2015 et de Civilizations (Grand prix de l'Académie française) en 2019. 

 

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