Personne ne gagne
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Thème
A la charnière des 19ème et 20ème siècles, entre Missouri, San Francisco et Vancouver, Jack Black décrit l'itinéraire d'un enfant pas gâté, de la déchéance "hors la loi" jusqu'à la rédemption, 30 ans plus tard, la sienne !
Ce récit à la première personne raconte une vie de larcins, de vols, cambriolages, braquages, dans le milieu des "Yeggs", ces vagabonds qui passaient de ville en ville par le réseau ferré de l'ouest des États Unis. Des vies décrites avec une grande simplicité, sans jugement de valeur sur les amitiés, les trahisons, la peur, le besoin de voler et de soulager ses angoisses par la consommation d'opium.
15 ans passés aussi dans diverses prisons du grand ouest américain, nourrissent matière à réflexions sur l'inadaptation du système carcéral à cette "petite" criminalité, à l'époque très lourdement réprimée.
C'est un revirement dans un procès qui conduit Jack Black à renoncer à vivre "hors la loi".
La rencontre avec le riche mécène et propriétaire de journaux, Frémont Older, le conduira à écrire ce livre qui fluctue entre autobiographie, témoignage historique et roman.
Points forts
1- Un livre à la première personne. Pas de grandiloquence, pas de suspens à couper le souffle. Des faits, rien que des faits, racontés avec une incontestable talent, dans une traduction qui est fidèle au style du début du siècle.
2- De l'école religieuse qui devait en faire un enfant modèle, le parcours de Jack Black est celui d'une lente déchéance, acceptée au hasard des rencontres, sans plainte ni amertume.
3- Ce récit d'une vie percutée par les bons, les brutes et les truands vous fait rencontrer des figures bienveillantes de vieilles canailles, des personnages aperçus et évanouis, pittoresques et simplement humains.
4- Nourri de son expérience de la prison, il affirme bien avant les experts en criminalité que la violence carcérale engendre la violence sociale, que les châtiments alimentent l'esprit de vengeance, que le manque de travail en prison nourrit la haine de la société. Ces observations simples et sincères ont -disent les exégètes- influencé la conception de règles carcérales plus favorables aux promesses de réinsertion.
5- Un livre assez dense, dont le fin et joli papier ne laisse pas soupçonner les 470 pages. Ne boudez pas la post face, l'annexe et la toute dernière page qui décrit l'édition de cet ouvrage !
Quelques réserves
Si l'on aime les policiers autobiographiques écrits dans un style simple et direct, ce livre n'a pas de défaut.
Encore un mot...
"Personne ne gagne" est un livre hors norme. Il propose une immersion dans un monde, à l'époque pour beaucoup inconnu, celui des vagabonds et hors la loi qui suivaient l'expansion des villes et de l'économie du grand ouest américain et canadien. Un monde en marge, de "Johnson", "Hobos", vagabonds, voyous, bandits, sans illusion sur la société, mais respectueux de la vie de leurs "victimes", hommes et femmes d'honneur - du moins Jack Black veut-il nous en convaincre.
C'est aussi un exercice de résilience, qui situe dans son époque la dialectique du crime et de la justice. Ce qui fait la force et le succès de ce livre intemporel, c'est la démonstration qu'au début du 20ème siècle, ni les hors la loi, ni la justice à travers ses pratiques, ne pouvaient gagner à leur affrontement. Sous ces deux aspects, ce récit humble est convaincant.
Une phrase
Ou plutôt deux:
- "Personne ne veut vivre et mourir comme un criminel. Ils espèrent tous raccrocher un jour, en général quand c'est presque trop tard. J'aimerai dire à chaque voleur qui pense à arrêter que s'il se met à la place de sa victime, il tient le bon bout; s'il n' y arrive pas, il n'ira nulle part." p 286
- "J'ignore encore si les autorités voyaient le fouet comme une punition ou une mesure dissuasive, ou bien les deux. Comme punition, c'est réussi; comme effet dissuasif, c'est raté. Si c'est un peu des deux, la première oblitère l'autre et personne n'y gagne." p 311
L'auteur
Jack Black est un homme dont l'identité réelle n'a jamais été établie. Né au Canada en 1871, il est présumé mort en 1932, dans le port de New York. Sa vie se résume à une enfance qui aurait pu le conduire à une vie ordinaire, une rafle policière qui le fait basculer dans le camp du "petit banditisme" où il "excellera" pendant 30 ans -dont 15 dans diverses prisons-, puis, un retour à une vie "rangée", à l'occasion d'une rencontre providentielle. Il devient alors plus ou moins archiviste et journaliste au San Francisco Call, période où il écrit "You can't win". Nous sommes en 1926.
Ce seul et unique livre a été publié en France pour la première fois en 1932, puis en 2007. Sa sincérité et la précision des situations décrites, notamment l'inexorable et "justifiée" dépendance à la drogue, aurait influencé le romancier américain William S. Burroughs (qui signe une post face du livre). Il aurait aussi contribué à ébranler les certitudes du puritanisme américain de l'entre-deux-guerres, précurseur en cela de la Beat Generation, qui a notamment ouvert la porte, dans les années 60, aux mouvements hippies et à la libération sexuelle.
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