Père-patrie
Parution le 23 août 2024
232 pages
19, 90 euros
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Thème
Comment se séparer d' un pays qu' on a passionnément aimé ? Un immense pays de culture, mais sauvage, imprévisible, foutraque. La Russie est une mante religieuse, un aimant, une morsure. Pour la comprendre nous dit l' auteur, il faut être comme Emmanuel Carrère, un peu névrosé.
Mais comment tourner la page, justement, lorsque jeune adolescent boulimique vous avez ingurgité des milliers de pages consacrées à Anna Karénine - à déguster comme un bon vin- ou aux frères Karamazov - à savourer comme un gros cigare-?
Premier réflexe : celui de l' amoureux trahi. Colère froide, vider sa bibliothèque, entasser grands et petits romans russes dans un carton et descendre tout ça à la cave.
Loin des yeux, loin du cœur. L' agression russe en Ukraine signe la rupture. Définitive ? Pas si simple. Car il faut désormais oublier les fantômes qui vous suivent depuis l' enfance, conjurer ses peurs anciennes, la crainte de voir disparaître ce père si cultivé, mais si vieux qu' il faisait déjà, lorsqu'on était gamin, figure de grand- père. Ce père, agrégé de lettres classiques, inaccessible, imposant et qui, la soixantaine passée, considérait son fils comme un " cadeau du ciel".
Disparition du père, divorce avec la Russie: dans la douleur, les deux événements se confondent : la mère-patrie chère aux Russes devient un père-patrie pour l' auteur. Il faut alors refermer ce carnet de " jolis mots", où le narrateur consignait des expressions nouvelles glanées au fil des voyages ou des lectures, toute la boîte à musique de la langue russe, avec ses voyelles qui caressent, ses chuintantes qui se murmurent.
Déjà pointe la mélancolie. Car les Russes, écrit Jean- Robert Jouanny " prennent les inclinaisons de l' âme très au sérieux ". Le jeune explorateur qui a vécu sur place se souvient alors du beau visage de la femme aimée: Olga. Voyage en train vers le lac Baïkal, partage des victuailles avec des inconnus (vodka et cornichons salés), découverte de la tendresse et de l' immensité russe...
Points forts
Un récit d' adieu qui est aussi un chant d' amour drôle, sensible et profond. Bien sûr, il existe des approches différentes de ce pays-continent, mais Jean- Robert Jouanny nous parle de sa Russie, une Russie terriblement vivante, déchirée par ses tourments anciens : mémoire, identité, spiritualité ...
Un portrait du père absent, pudique et sincère.
Quelques réserves
Je n'en vois pas. Un premier roman très réussi.
Encore un mot...
Au-delà des clichés sur l' âme slave, la passion russe de l' auteur pour " ce pays foireux " (ce qui en fait son charme) est nourrie de réflexions originales : " pourquoi tant de docilité? Parce qu' ils ont appris à ne pas s' aimer. "
Mauvaise estime de soi ? Oui, dans une société où l' individu n' existe pas, où la machine étatique ne réclame que de la chair à canon. Rapport très différent aussi à la vie et à la mort. Dès le deuxième toast porté à la santé de l'étranger, très vite, votre hôte russe aborde les questions essentielles: le bien et le mal, Dieu et le paradis, la joie ou la peine nichées dans votre cœur...
Nous publions le même jour une autre chronique de Pascal Verdeau sur la Russie : La Russie de demain, un roman de Gilles Cosson.
Une phrase
"Les Russes, pour autant que cette notion englobante me soit permise, me font l' impression du chien stupide qui défend le maître qui le bat.
La première question que deux moujiks se poseront quand ils auront atteint leur état habituel d'ébriété, c' est Tu me respectes? , comme s' ils portaient très profond en eux la trace d' une indignité quelconque. " Page 192
L'auteur
Jean- Robert Jouanny a étudié et vécu en Russie puis a enseigné la civilisation russe à Sciences Po. Père-patrie est son premier roman.
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